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Un parfum arty souffle sur Cochin, comptoir indien de l'art contemporain

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Cochin, le nouveau comptoir de l'art contemporain

La pêche au carrelet chinois à Cochin, constitue une véritable attraction touristique dans la région.

Reportage. - Au Sud-Ouest de l’Inde, dans l’État du Kerala, la ville de Kochi, dont la prospérité est due au commerce séculaire des épices, flirte désormais avec l’art contemporain. La Kochi Muziris Biennale (Biennale d’art contemporain de Cochin) fait la part belle à la dynamique scène indienne actuelle. États d’un lieu d’une nouvelle effervescence artistique.

Fameux comptoir des colonies campé sur une rive de la mer d’Arabie, Cochin – ou Kochi en malayalam, la langue locale –, et en particulier son centre historique, Fort Kochi, ont pris soin, depuis des siècles, de distiller leurs charmes tropicaux : façades aux tons curcuma, végétation luxuriante, flots de rickshaws pétaradant en file fatalement «indienne», sans oublier moult splendides édifices coloniaux qui, au fil du temps, se métamorphosent en adresses branchées, tel Brunton Boatyard, ancienne halle de construction de bateaux convertie en hôtel chic.

La nouvelle denrée de la région

Plaque tournante, aujourd’hui encore, du négoce des épices, Fort Kochi fleure bon les effluves de cannelle ou de cardamome, échappés des magasins de gros de Bazaar Road. Mais il est un nouvel aromate qui, depuis l’orée des années 2010, vient pimenter la vie de la cité et, à fortiori, la curiosité de ses visiteurs : l’art contemporain. Tous les deux ans depuis 2012, peu avant Noël, la Kochi Muziris Biennale exhale son parfum arty, réveillant les murs de fresques remarquables et répandant moult installations en plein air ou œuvres dans des endroits inattendus, dont une série d’antiques entrepôts –d’épices évidemment !–, aujourd’hui transformés en vastes espaces d’exposition, à l’instar d’Aspinwall House, poumon de la Biennale, des ex-docks de la TKM Warehouse ou de la bien-nommée Pepper House, jadis saturée de poivre. Même le futur Museum of Art & Photography de Bangalore, dans le Karnataka voisin, dont l’ouverture est prévue en 2020, vient d’y implanter une antenne à l’année, sur Calvathy Road, baptisée MAP Project Space, qui accueille ses présentations hors les murs et des artistes en résidence.

Cochin, nouveau comptoir de l'art contemporain

Comme si de rien n’était, l’art contemporain prend racine. «Son implantation à Kochi a sans aucun doute bénéficié de la mentalité inhérente à cette ville, estime Bose Krishnamachari, président de la Kochi Biennale Foundation, maison-mère de la Biennale. Kochi est un lieu-phare de la tolérance. Rappelons que la première église chrétienne, la première synagogue et la première mosquée d’Inde ont été bâties ici. Et aujourd’hui, 44 communautés vivent ensemble.» Bref, dans une contrée où les susceptibilités sont immenses, l’art contemporain a trouvé son écrin.

Les femmes mises à l'honneur

En bord de mer mais, à coup sûr, moins bling-bling que la foire Art Basel Miami Beach, la Biennale de Kochi s’est forgée, en moins d’une décennie, une solide réputation grâce à une recette simple : le retour aux fondamentaux. Oubliés le marché et le Star System, place à l’art. Pour cette édition 2018-2019, le commissariat général a, pour la première fois, été confié à une femme : l’artiste et militante indienne Anita Dube, 60 ans. Résultat : plus de la moitié des artistes exposés sont des… femmes, une première mondiale dans une manifestation artistique, et une véritable prouesse dans un pays comme l’Inde ! «Certes, souligne Anita Dube, j’ai eu l’opportunité de mettre l’accent sur les artistes-femmes, mais il s’agit avant tout d’œuvres qui n’ont pas été assez montrées ou très peu. Je veux changer cette situation.» D’où la présence de quelques figures féministes notoires comme sa compatriote Sonia Khurana, as de la performance qui dans ses films, tel l’irrévérencieux Bird, dévoile son corps dénudé, dont elle use de façon ô combien transgressive pour affirmer une identité postcoloniale.

Des sujets dans l'air du temps

Toute la scène contemporaine indienne s’exhibe à Kochi et le moins que l’on puisse dire est qu’elle fait feu de tout bois, malaxant sans retenue les sujets dans l’air du temps : inégalités, racisme, corruption, sexisme, écologie, droits de l’homme, question du genre… Ainsi la photographe Tejal Shah explore-t-elle de manière osée l’identité Queer à travers des saynètes en pied un brin kitsch, sur fond de paysages fantasmatiques.

La vie d’artiste, en Inde, n’est pas un long Gange tranquille. Si certains parcours restent «classiques», avec formation en école d’art, d’autres, en revanche, sont beaucoup plus tortueux, et néanmoins passionnants. Le peintre P.R. Satheesh a passé son enfance dans un village du Kerala, Bison Valley. «J’ai été étroitement lié à la nature, à la vie sauvage et à ses mystères, raconte-t-il. Lorsque j’étais petit, nous allions à l’école en traversant des montagnes et des forêts et j’ai, à l’époque, beaucoup entendu d’histoires d’attaques de bêtes sauvages. Pour atténuer notre peur, nous avions à la maison, en guise d’animaux de compagnie, des singes, des porcs-épics et quelques oiseaux.» Des souvenirs qui inspirent aujourd’hui son travail : «Synchroniser la vie rurale et la vie urbaine (son atelier est à Kochi, NDLR) rend ma peinture chaotique et intense», observe P.R. Satheesh.

Inspirations personnelles

Cochin, le nouveau comptoir de l'art contemporain

Une fresque réalisée par le street artiste népalais Kiran Maharjan.

Même réminiscences enfantines chez Temsüyanger Longkumer, originaire du Nagaland, cette région frontalière avec la Birmanie. «Mes racines Naga m’influencent énormément, assure-t-il. Je suis né dans un endroit où l’eau était transportée dans des bambous depuis la forêt jusqu’à la maison et où l’on chassait les animaux pour leur viande. Il n’y avait pas d’école, pas d’hôpital, ni de routes. Les gens vivaient nus, en harmonie avec la nature. Je reste donc très attaché à la terre, à cette population et à sa culture. Il y avait de la magie partout. Les sorcières, les elfes, les fantômes amicaux, le monstre de la forêt poilue, tous vivaient autour de nous. Ces expériences me reviennent sans cesse à l’esprit.» Pour les besoins de son film Aye, Aye, My Suntanned Lullaby, sa caméra, lors d’un rituel ponctué de chants lancinants, s’est faufilée à l’intérieur d’un long tronc évidé et heurté en rythme par des percussionnistes.

Ex-conducteur de rickshaw dans les rues de Calcutta, sa ville natale, Bapi Das s’est lancé, il y a une dizaine d’années, dans une carrière de brodeur, après avoir découvert à l’Ava Art Gallery, à Darjeeling, l’habile travail au fil et à l’aiguille de l’artiste Ava Devi. «La plupart du temps, je reconstitue des images que j’ai "absorbées" lorsque j’étais assis sur le siège conducteur de mon rickshaw», dit-il. Ses broderies faussement naïves se font mémoires visuelles des paysages urbains maintes fois contemplés à travers son pare-brise ou ses rétroviseurs, accessoires qui d’ailleurs apparaissent parfois dans ses œuvres.

Né dans une famille pauvre de l’Ouest du Bengale, Vicky Roy, lui, a quitté la maison à l’âge de 13 ans, rejoint la capitale, New Dehli, où il est devenu chiffonnier, et dormi sur un quai de la gare centrale. Sa chance : être secouru par une ONG qui lui offre un toit et une éducation. Un photographe anglais, de passage, lui met la main à la pâte. Son premier travail intitulé Street Dreams, sur les sans-abris mineurs, consiste en des clichés poignants aux forts contrastes en noir et blanc. Il l’expose en 2007, il n’a pas 20 ans. L’année suivante, une fondation américaine lui passe commande : documenter la reconstruction du site du World Trade Center, à New York. L’ex-enfant des rues a aujourd’hui 31 ans et un boulevard devant lui.

Six portraits d'artistes

Shubigi Rao, 43 ans, photographe et vidéaste

Cochin, le nouveau comptoir de l'art contemporain

Shubigi Rao met en lumière l'histoire coloniale de Kochi dans The Pelagic Tracts, à la fois installation sonore, film de fiction et photographies.

Qui ?
Bachelor de Littérature anglaise en poche, Shubigi Rao, née en 1975, à Mumbai, a ensuite décroché son Master of Fine Arts, en 2008, au Lasalle College of the Arts, à Singapour, où elle vit depuis 17 ans.

Une œuvre à la biennale ?
Autour de l’histoire coloniale de Kochi, des archives et de la notion de perte, The Pelagic Tracts mêle installation sonore, film de fiction et photographies illustrant «le non-lu, l’illisible ou l’indéchiffrable.»

Son actu ?
Jusqu’au 24 février, l’exposition Unhomed Belongings, au National Museum de Singapour, puis, en mars, un Talk à la 14e Biennale de Sharjah (Émirats arabes unis), enfin, le tournage d’un documentaire en Bosnie et en Croatie.

Jitish Kallat, 44 ans, plasticien

Qui ?
Commissaire général de la Biennale de Kochi 2014, Jitish Kallat est né en 1974, à Mumbai, ville où il vit et d’où il est diplômé de la Sir J.J. School of Art.

Une œuvre à la biennale ?
Sculptures inspirées des outils paléolithiques, Untitled (Two Minutes to Midnight) évoque à la fois l’aube de l’ingéniosité humaine et les innovations exponentielles qui suivirent, conduisant à une suprématie sans complexes de l’Homme et à sa manipulation de la planète.

Son actu ?
Jusqu’au 9 mars, une exposition monographique, Phase Transition, à la galerie Templon, à Paris, et à l’horizon 2020 : une présentation au Frist Art Museum de Nashville (États-Unis).

Vicky Roy, 31 ans, photographe documentariste

Cochin, le nouveau comptoir de l'art contemporain

Ex-enfant des rues originaire de l’Ouest du Bengale, Vicky Roy fait aujourd'hui partie des exposants de la Biennale de Kochi 2018-2019. Il y présente : This Scarred Land : New Mountainscape, série de photographies en noir et blanc sur les ruines coloniales et/ou de l’ère industrielle sous Nehru.

Qui ?
Diplômé, en 2005, de l’école de photographie Triveni Kala Sangam, à New Delhi, Vicky Roy, né en 1987 à Purulia, au Bengale, devient assistant du photographe Anay Mann. En 2009, il étudie la photographie documentaire à l’International Center of Photography de New York.

Une œuvre à la biennale ?
Outre son opus Street Dreams – ici, 17 photos –, Vicky Roy présente un autre travail en noir et blanc, This Scarred Land : New Mountainscape–11 photos–, série sur les ruines coloniales et/ou de l’ère industrielle sous Nehru.

Son actu ?
Chaque nouvelle série nécessitant 4 à 5 ans de travail, hormis la Biennale de Kochi, pas de nouvelle exposition cette année.

Shilpa Gupta, 42 ans, plasticienne multimédia

Qui ?
Née en 1976 à Mumbai, où elle a étudié la sculpture à la Sir J.J. School of Fine Arts et où elle est installée, Shilpa Gupta s’intéresse au pouvoir des mots, à fortiori lorsqu’ils causent un malaise chez ceux qui ont le pouvoir.

Une œuvre à la biennale ?
Avec l’installation For, In Your Tongue, I Can Not Fit, Shilva Gupta donne une voix au silence forcé de cent poètes emprisonnés au fil du temps à travers le monde. Cent microphones diffusent, à tour de rôle, des versets de poèmes, une heure durant et en différentes langues.

Son actu ?
Une double exposition monographique –avec l’artiste indienne Zarina Hashmi–, en mars, pour l’ouverture de la Ishara Art Foundation, à Dubai.

Temsüyanger Longkumer, 42 ans, plasticien et vidéaste

Qui ?
Né en 1976 dans le Nagaland, il suit des études d’arts graphiques à la Maharaja Sayajirao University de Baroda, puis au Royal College of Art, à Londres, où il vit actuellement.

Une œuvre à la biennale ?
Hommage à l’espoir, à la tolérance et à la diversité, l’installation Catch a Rainbow diffuse aléatoirement une brume de gouttelettes créant des arcs-en-ciel visibles de différents angles, selon la position du spectateur et la direction du soleil.

Son actu ?
Parmi ses projets en cours : un film animé avec des personnages modelés en argile et un nouveau travail pour la Biennale de Singapour 2019, en novembre.

Veda Thozhur Kolleri, 28 ans, plasticienne multimédia

Qui ?
Née en 1990 à Chennai, elle a décroché, l’an passé, un Master of Fine Artsà la Shiv Nadar University de Dadri, et vit à Vadodara, dans le Gujarat.

Une œuvre à la biennale ?
L’installation Rigor Mortis réunit des objets organiques à différents stades de déclin, de décomposition ou d’abandon, d’abord coulés dans du plâtre, puis suspendus au plafond ou posés à terre grâce à des supports en fer. Cet espace immersif évoque l’impermanence et la disparition.

Son actu ?
Lauréate du programme Ashkal Alwan’s Home Workspace 2018-2019, elle a décroché, jusqu’à l’été prochain, une résidence d’artiste à Beyrouth (Liban).

Les bonnes adresses à Kochi

Taj Malabar
Sis au calme sur l’île de Willingdon, face au brouhaha de Fort Kochi, cet hôtel arbore une exquise piscine au milieu des cocotiers et un bar sur le toit.
Willington Island, Kochi.

Ginger House restaurant
Dans ce labyrinthe de vraies et fausses antiquités, avec terrasse en bord de mer, la cuisine, des crevettes aux Ice Creams, est à base de… gingembre.
Jew Town Road, Mattancherry, Kochi.

Pepper House
Son café sur le jardin intérieur est prisé au déjeuner : poulet épicé sur oignons caramélisés, salade de lentilles à la mangue et cafés bio du Karnataka.
Calvathy Road, Fort Kochi.

Kashi Café
Une galerie d’art à l’avant, un patio façon oasis zen à l’arrière et au menu : Cakes et Pies faits maison et arrosés de limonade au gingembre.
Burgher Street, Fort Kochi.

Gallery OED
Cette suite d’espaces logés dans un antique entrepôt réhabilité présente la production de divers créateurs : art, design, mode…
Bazaar Road, Mattancherry, Kochi.


L’art contemporain investit les friches industrielles d’Anvers

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Anvers arty

Dans un jeu de reflets, la silhouette de la Maison du port d’Anvers se dévoile... Bijou d’architecture signé Zaha Hadid, l’édifice symbolise le dynamisme économique et la vitalité culturelle de la ville.

Reportage. - Les nouvelles signatures de la scène artistique contemporaine affluent vers la cité belge où les galeries réinvestissent ses friches industrielles et les musées cultivent son goût immodéré de l’avant-garde.

Anvers la Flamande n’est pas seulement le deuxième plus grand port d’Europe, la ville des diamants et d’une génération en or de créateurs de mode. Forte de sa position privilégiée, à deux pas de Londres, d’Amsterdam et de l’Allemagne, elle est aussi un pôle vivant de l’art contemporain.
«Anvers s’apprivoise, cela prend du temps, mais c’est une ville ouverte sur le monde et ultraconnectée. On sent vraiment que l’on est dans un port», raconte la Française Laure Prouvost, qui s’y est installée en 2014, à la suite d’une résidence au centre d’art Extra City. La plasticienne, qui représente la France à la prochaine Biennale de Venise, montre actuellement un vaste ensemble de ses œuvres au M HKA, le Musée d’art contemporain de la ville, jusqu’au 19 mai (1).

Sous sa réserve, Anvers, dont la créativité tous azimuts - mode, danse, gastronomie… - n’échappe à personne, surprend pourtant par sa vivacité artistique, à l’identité affirmée : «C’est une scène solidement établie depuis très longtemps : sa tradition remonte aux primitifs flamands, et c’est encore sensible», précise Nav Haq, curateur au M HKA et commissaire de l’exposition de Laure Prouvost.«Après-guerre, la ville devient un haut lieu de l’avant-garde, avec des artistes comme Panamarenko.» Une génération, celle de Luc Tuymans ou Jan Fabre, a pris la suite. C’est aussi la ville natale du plus belge des artistes mexicains, Francis Alÿs. Un vivier de pousses prometteuses, comme Philip Metten, Vaast Colson, et les très jeunes Ben Sledsens et Charline Tyberghein, prospère sur ce terreau historique, qui attire également les artistes du monde entier, comme Laure Prouvost donc, Kati Heck ou Otobong Nkanga. «La ville a une belle énergie, les différentes scènes artistiques s’y mélangent et s’enrichissent, c’est ce qui la rend spéciale», renchérit Kati Heck.

Anvers, nouvelle capitale arty

Des institutions prestigieuses

En vue

Fondée en 2016, la galerie PLUS-ONE représente et expose une sélection d’artistes belges et internationaux.

Des institutions prestigieuses, comme le Musée des beaux-arts ou celui de la mode (tous deux en travaux), le M HKA, le Fotomuseum ou le Musée de sculpture en plein air de Middelheim côtoient un tissu dense de galeries. Zeno X, ouverte en 1981, en est une des têtes de file défricheuses : la galerie, d’abord installée dans le Zuid (le Sud) à une époque où le quartier était loin d’être aussi branché qu’aujourd’hui, a déménagé il y a quelques années dans un quartier beaucoup plus populaire, où quelques-uns de ses artistes, comme Anne-Mie Van Kerckhoven, ont leur atelier. Son fondateur, Frank Demaegd, a aidé à s’installer à l’international des artistes aujourd’hui aussi reconnus que Luc Tuymans, Marlene Dumas ou Jack Whitten. Depuis, une flopée d’adresses électrisantes ont vu le jour dans le Zuid, dont les galeries Tim Van Laere, Sofie Van de Velde, Plus-One ou Keteleer.

Une programmation pointue

Malgré la présence du beau Fotomuseumà la programmation pointue, la photographie en était un peu le parent pauvre, jusqu’à ce qu’un jeune Anversois passionné et ambitieux ne décide de l’imposer. Roger Szmulewicz a ouvert Fifty One, sa galerie, en 2000, dans le centre. D’abord connu pour les artistes africains qu’il représente - Seydou Keïta, Malick Sidibé et Okhai Ojeikere -, il a noué depuis une collaboration étroite avec un ensemble impressionnant de belles signatures, internationales, comme Saul Leiter, William Klein, Masao Yamamoto, Steve McCurry ou Michael Wolf, ou belges, comme Harry Gruyaert et le jeune Bruno V. Roels. Au point que Fifty One est aujourd’hui la première galerie de photographie en Belgique, et que la ville lui emboîte le pas, avec une biennale, AntwerpPhoto, dont la première édition s’est tenue l’été dernier. Fort de son succès, Roger Szmulewicz élargit depuis quelques années sa programmation aux œuvres sur papier, dont celles de la dessinatrice Arpaïs Du Bois.

À l'ombre de la cathédrale...

Et puis il y a un lieu à part, un complexe original fondé par Axel Vervoordt (2). Cet antiquaire, décorateur, grand collectionneur, passionné par le monde ancien, l’art et le design, a lui commencé il y a cinquante ans par s’installer à l’ombre de la cathédrale, en restaurant des maisons Renaissance. Fort du succès de ses formidables expositions vénitiennes et de son souhait de créer un îlot de vie et d’art, il acquiert une ancienne malterie, à dix minutes à l’est de la ville, et conçoit Kanaal, au tournant des années 2000. Ses 55 000 mètres carrés de brique et de béton abritent aujourd’hui un projet immobilier, un restaurant, les bureaux de l’entreprise devenue familiale, les ateliers de restauration, une exposition d’une partie de la collection des Vervoordt et la galerie fondée par leur fils Boris en 2011, dans une continuité d’intention avec la collection que ce dernier qualifie de «cellulaire». Parmi les pièces de la collection (visibles sur rendez-vous) palpitent une œuvre monumentale d’Anish Kapoor et une autre, hypnotique, de James Turrell, dans une ancienne chapelle. Dans une enfilade de pièces plongées dans une semi-pénombre se croisent les toiles de peintres japonais Gutaï, des sculptures anciennes bouddhiques, une œuvre étincelante d’Otto Piene… La galerie, muséale, expose des artistes contemporains de tous horizons, avec une prédilection pour le Japon et la Corée. Avec un désir d’intemporel. La marque de fabrique d’Anvers.

(1) Laure Prouvost - AM-BIG-YOU-US LEGSICON, jusqu’au 19 mai, au Musée d’art contemporain d’Anvers. muhka.be
(2) Une exposition pour en savoir plus sur ce collectionneur : Chambre des merveilles 1 : Axel Vervoordt, jusqu’au 28 avril, au DIVA (le musée du diamant). divaantwerp.be. Et aussi : axel-vervoordt.com.

Nav Haq, curateur audacieux

Nav Haq, curateur audacieux

Nav Haq, curateur au M HKA depuis 2012.

Qui ? Un Anglais brillant, qui a œuvré dans sa patrie - deux ans au Gasworks de Londres, puis cinq à l’Arnofilni de Bristol - avant de postuler pour le poste de curateur au M HKA, qu’il occupe depuis 2012 avec enthousiasme : «C’est un musée de classe internationale mais de taille moyenne, ce qui lui permet d’allier flexibilité, réactivité et réflexion.»

Quoi ? Un mélange passionnant de formats et de nationalités : il monte de grandes expositions monographiques, de Joseph Beuys à Laure Prouvost, en passant par Harold Thys et Jos de Gruyter, qui représenteront la Belgique à la prochaine Biennale de Venise. Il s’occupe d’un espace dédié aux artistes plus émergents, comme Otobong Nkanga ou Michèle Matyn. Et s’attaque à de grandes thématiques ambitieuses, s’inspirant du mouvement Rave, il y a trois ans, ou du Anvers de l’écrivain Roberto Bolaño, l’été prochain...

Kati Heck et son monde imaginaire

Qui ? Arrivée pour étudier la mode à 18 ans, cette Allemande rayonnante de fantaisie change d’avis, s’inscrit en art par désir d’expérimentation et reste à Anvers. Elle y mène une carrière internationale depuis sa jolie maison environnée de verdure, à quelques kilomètres de la ville.

Quoi ? Elle invite sa famille et ses amis à poser pour ses grandes toiles colorées et baroques, entre surréalisme et réalisme absurde : les influences croisées, explique-t-elle, de la Belgique de Magritte et de l’Allemagne de Baselitz. Et ne s’interdit aucun médium : installations, sculptures, vidéos et performances s’ajoutent à son travail de peintre, avec souvent le langage, la vie quotidienne ou la nourriture en fil rouge. Pour sa prochaine exposition à la galerie Tim Van Laere en mai, elle est partie d’une vision empathique et inclusive du monde pour créer un univers d’images au milieu duquel trônera une grosse citrouille en bronze... dans laquelle on pourra s’asseoir !

Du 23 mai au 6 juillet, à la Tim Van Laere Gallery. timvanlaeregallery.com

Sofie Van de Velde, galeriste éthique

Qui ? Fille de Ronny Van de Velde, un grand galeriste d’Anvers, elle devient travailleuse sociale et chercheuse, et met en place une efficace collaboration en réseau pour sortir les gens de la pauvreté. Il y a huit ans, elle rejoint son père et, en 2013, monte sa propre galerie, chez elle d’abord, puis depuis un an et demi dans un bel espace partagé avec la galerie PLUS-ONE.

Quoi ? Une vision de l’art ultracollaborative, qui mêle second marché et jeune création, artistes locaux et internationaux. «Pour être fidèle à moi-même, je ne voulais pas entrer dans la compétition, mais fédérer des gens pour le bénéfice de tous.» Ce qu’elle fait avec PLUS-ONE et de nombreuses galeries, comme Victoria Miro ou Sean Kelly, son père ou les musées. Elle est aussi vice-présidente de la Federation of European Art Galleries Association (FEAGA). sofievandevelde.be.

Carnet d’adresses

Hôtel Pilar : adresse arty très bien placée. Cet hôtel contemporain et confortable se trouve en face du Musée des beaux-arts. Galeries, FotoMuseum et M HKA sont accessibles à pied. La chaleureuse salle de café-restaurant à l’esprit lounge, bien garnie en livres d’artistes locaux, est l’un de ses atouts. hotelpilar.be.

Graanmarkt 13 : un concept élégant en centre-ville, qui réunit un magasin, un appartement à louer avec services hôteliers et, surtout, un délicieux restaurant gastronomique. La cuisine du chef Seppe Nobels est basée sur les légumes de saison et locaux, et les plats se déclinent en version végétarienne. graanmarkt13.com.

Kloosterstraat : la rue des antiquaires accueille aujourd’hui également une flopée de boutiques branchées de mode, de design, de décoration - ou les trois à la fois. Un haut lieu de shopping inspiré. kloosterstraat.com.

Musée Plantin-Moretus : parce que Anvers était un centre de l’humanisme dès le XVIe siècle, il faut absolument visiter la merveilleuse maison et les ateliers de la famille d’imprimeurs Plantin-Moretus. Une histoire du livre et de la vie intellectuelle anversoise et le seul musée inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. museumplantinmoretus.be.

Avant de partir

Se mettre dans l’ambiance, en allant (re)voir les nombreuses toiles de Rubens au Louvre, parce qu’il est LE grand artiste incontournable de la très active et flamboyante Anvers baroque. In situ, on peut aussi visiter sa maison pour mieux comprendre les ressorts de sa prolifique créativité. louvre.fr.

Tout savoir sur ce qui se passe à Anvers dans l’art contemporain grâce au site de cette association, qui rassemble et promeut les lieux et les expositions de ses membres : musées, galeries, centres d’art, résidences d’artistes... Indispensable. antwerpart.be.

Se renseigner en consultant le site pratique et très complet de l’Office du tourisme d’Anvers, qui conjugue bonnes adresses et vie culturelle. visitantwerpen.be.

Y aller en Thalys : direct en deux heures depuis la gare du Nord à Paris, jusqu’à treize liaisons quotidiennes, et trois catégories de service. thalys.com.

L’univers mystérieux et poétique de la plasticienne Laure Prouvost

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Laure Prouvost

La plasticienne Laure Prouvost fait actuellement l’objet d’une expo-événement au Musée d’Art contemporain d’Anvers (M HKA).

Ses installations, associant film, objets et textes se lisent comme des fables contemporaines... À 40 ans, Laure Prouvost, l’une des artistes les plus inventives de sa génération, représentera la France à la Biennale de Venise 2019.

Blonde piquante, à la silhouette à la fois garçonne et féminine, Laure Prouvost se raconte avec une gouaille rieuse autour d’un thé, dans un matin glacé d’hiver à Anvers. Ce feu follet talentueux joue avec aisance de ses multiples identités : artiste, londonienne pendant presque vingt ans, anversoise aujourd’hui, française toujours. En 2013, elle remporte le Turner Prize, le plus prestigieux des prix britanniques. Sa carrière internationale est lancée. Elle a depuis exposé partout dans le monde. Elle était l’été dernier au Palais de Tokyo, à Paris.

Le M HKA d’Anvers lui consacre en ce moment une grande exposition rétrospective (1). Installée dans la cité flamande, elle a gardé un petit studio à Londres et dit qu’elle se partage entre ces deux villes et une caravane dans le désert croate… On n’est pas obligé de la croire, tant fiction et réalité se confondent dans ses récits échevelés. Ses installations sont des puzzles oniriques et sensuels, pleins d’humour et de liberté, qui parlent de désir, du monde tel qu’il est ou tel qu’il devrait être s’il s’autorisait un pas de côté, d’une nature luxuriante et fantasmée, de sensations et d’incompréhension… Il faut se perdre dans l’univers de Laure Prouvost, se laisser embarquer dans ses histoires à la complexité insolite et réjouissante.

L'œuvre de Laure Prouvost au M HKA d'Anvers

Origines de l’art

Dès son enfance, dans le nord de la France, elle invente des mondes. «Mes parents ont un grand jardin et j’aimais beaucoup bricoler, créer des environnements, des cabanes. Je n’avais pas tellement le droit de regarder la télé, j’étais devenue obsédée par les images qui bougent, je voulais les questionner, les réinventer, les travailler.» Après une scolarité en partie à Tournai, en Belgique, où elle étudie déjà l’art, la voilà partie à 18 ans pour intégrer le Saint Martins College à Londres. Elle y apprend la vidéo expérimentale, qui la passionne. Elle en fait la base de son œuvre, avant de l’enrichir en la déployant dans les médiums traditionnels - dessin, céramique ou tapisserie.

Au commencement était le verbe

Laure Prouvost

Laure Prouvost développe sa pensée à travers un langage artistique personnel. Ces mots et messages reliés à des images, mis en scène dans son atelier avec des créations insolites mais relevant d’une pratique artistique traditionnelle, sont les fragments de la fable qu’elle nous conte.

«Le langage est vraiment le fil rouge de mon travail. J’ai l’impression que les mots m’échappent, je n’arrive pas à les formuler, à les utiliser correctement. Je crois que j’ai fait de l’art parce que j’avais besoin de sortir de ce langage pour un autre, mais depuis j’utilise les mots tout le temps.» Elle les pose, en anglais le plus souvent, dans ses vidéos, où sa voix chuchote, interpelle et suggère, dans les textes de ses installations et les titres-fleuves de ses expositions. Elle leur invente des sens détournés, en souligne l’ambivalence, les (in)compréhensions, leur faculté à créer des images. «Elle maîtrise avec brio cette manière de jouer avec les mots, de les étirer, de les déconstruire avant de les assembler à nouveau et de les réinjecter dans le récit : ils sautillent et tourbillonnent autour de nous, ils nous font un pied de nez et nous échappent», dit d’elle la commissaire Martha Kirszenbaum, à qui elle s’est associée pour le pavillon vénitien. D’une langue à l’autre, elle triture les traductions - «ça devient amusant quand on se perd, qu’on mélange» -, comme dans cette tapisserie qu’elle a éditée pour Venise et qui dit «We will tell you loads of salades on our way to Venice» («Nous vous raconterons un tas de salades sur le chemin de Venise»)…

Conteuse

Car des salades, elle en raconte, tout le temps. «C’est bien que la fiction intervienne dans la réalité, de complexifier. Ne pas avoir une narration donne beaucoup de liberté, la vie devient extraordinaire.» Elle convoque souvent, par exemple, dans son travail ou sans prévenir dans la conversation, ses grands-parents imaginaires : «Mon grand-père est un artiste conceptuel, il faisait des tableaux minimalistes mais, derrière, il faisait des belles femmes avec des belles fesses…» Le même grand-père a décidé un jour de creuser un tunnel entre chez lui, en Angleterre, et l’Afrique, et s’est perdu. Depuis, sa grand-mère l’attend en faisant des tapisseries et en buvant du thé… Ces fragments de récits que l’on retrouve d’une œuvre à l’autre sont aussi un moyen pour elle de toucher nos histoires à tous, de «laisser chacun libre de son interprétation, en prise avec sa propre imagination». Pour Nav Haq, le commissaire de son exposition anversoise, «son travail est profondément philosophique, il nous incite à comprendre que nous sommes un mélange de différentes impulsions, d’intuition et d’une capacité à apprendre. Je l’associe au livre de Simone de Beauvoir Pour une morale de l’ambiguïté, qui présente l’ambiguïté comme un chemin vers la liberté». Martha Kirszenbaum y voit un lien avec l’Oulipo ou Les Fleurs bleues, de Raymond Queneau… Pour entrer dans son atelier à Anvers, comme dans son exposition au M HKA, il faut se faufiler sous une porte basse et étroite. À Venise, elle entend détourner l’accès au pavillon, «le public devra passer par des petits trous, il faudra chercher» : comme le préambule d’une fable.

Féminité

Laure Prouvost

Disposés sur un mur recouvert de branchages, des messages rappelant des textos, accolés à des objets, des écrans diffusant des vidéos... Dans le travail de Laure Prouvost se mêlent les éléments naturels, les faits, la fiction et la technologie moderne.

Ses œuvres débordent de seins, de fesses, d’odes aux sens et au corps. Elle entretient pourtant un rapport ambigu avec la notion de féminité. «Je me suis toujours considérée comme une artiste, pas une artiste femme. Je suis une éponge qui réagit aux situations. Mon travail est une relation entre mon cerveau, mon corps et le monde : je suis une femme, donc je viens avec ça. La naissance de mes enfants (une fille de 5 ans et un garçon de 3 ans, NDLR) aeu un impact aussi, évidemment. Je me rends compte néanmoins que dans la société d’aujourd’hui, c’est important de l’affirmer : il y a un enjeu, et puis il y a une nouvelle histoire de la femme qui commence en ce moment, c’est génial.»

Sérénissime

Ce n’est que la troisième fois, justement, qu’une femme représente la France à la Biennale de Venise - après Annette Messager en 2005 (Lion d’or) et Sophie Calle en 2007 - et le premier duo féminin, jeune de surcroît (Martha Kirszenbaum est née en 1983). Laure Prouvost y voit «un immense honneur et une grande responsabilité. Pour moi, c’est aussi un beau retour aux sources, assez émotionnel». Pour imaginer son pavillon, elle est partie de l’idée d’une pieuvre, qui a son cerveau dans ses tentacules, comme métaphore des origines de notre planète et de notre système nerveux. En son centre, un film aborde les notions de génération et d’identité, de langage, de fluidité et de liquidité, d’un monde d’échanges et de décalage. Pour le tourner, Martha Kirszenbaum et elle sont parties en voyage : du Roubaix familial à Venise, en passant par les tours Nuages d’Émile Aillaud à Nanterre, le Palais idéal du Facteur Cheval dans la Drôme, et à Marseille. Elles ont invité une douzaine de personnages talentueux - magicien, flûtiste, rappeur, instituteur à la retraite… - et jonglé avec plusieurs langues : français, anglais, arabe, italien, néerlandais… «C’est un road trip plus mental que réel, souligne Laure Prouvost. Qui est-on ? Où en est-on ? Je ne donne pas de réponses, ce n’est pas le rôle de l’artiste : il s’agira de sentir, comme la pieuvre.» Autour du film se déploiera une installation, encore un peu mystérieuse, qui masquera et transformera le pavillon, convoquera notamment le verre, cette liquidité durcie, travaillé avec les artisans de Murano. Et comme sa grand-mère a promis d’y faire une apparition en hélicoptère, dont elle descendra nue en se balançant suspendue à un fil, l’expérience promet d’être inoubliable… Laure Prouvost représentera la France à la 58e édition de la Biennale de Venise et y présentera son exposition Deep see blue surrounding you / Vois ce bleu profond te fondre, du 11 mai au 24 novembre, au Pavillon français. pavillonfrancais.com, labiennale.org.

(1) AM-BIG-YOU-US LEGSICON, jusqu’au 19 mai, au M HKA, à Anvers. muhka.be.

Escale au château La Coste, domaine viticole et musée à ciel ouvert

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Escapade au Château La Coste

Dans le domaine, l’époustouflant kiosque de musique, dessiné par l’architecte Frank Gehry, fait face à un amphithéâtre de verdure.

Dans ce domaine viticole de Provence cultivé en biodynamie, les plus grands artistes contemporains ont carte blanche. On y trouve aussi un potager et une table remarquable, celle du chef argentin Francis Mallmann, magicien de la cuisson au feu de bois. Une escale hédoniste unique !

Comme un galet intergalactique, la sculpture ovoïde de Tom Shannon scintille sous les premiers rayons de soleil qui, au loin, redessinent la ligne de crête du Luberon. Il est 8 heures, Château La Coste s’éveille. Promesse d’une journée torride, ils viennent sécher les dernières larmes de rosée perlant à la nervure des feuilles. Celles des vignes, ondoyant à perte de vue, de ce lieu grand cru, devenu un incontournable des escales en terre provençale, où art, architecture, vin et gastronomie font part égales.

À voir sans modération

Escapade au Château La Coste

En version grand bleu pour la piscine, où l’eau et le ciel se fondent dans une parfaite harmonie.

À 15 km d’Aix-en-Provence, Château La Coste est un ovni, objet viticole notoirement identifié. Non seulement on y vendange grenache, syrah, cinsault… mais aussi les plus grands noms de l’art contemporain. Dès l’entrée, une araignée en bronze de Louise Bourgeois se dresse sur un miroir d’eau et tisse le fil d’un incroyable parcours. On s’y égare, deux heures durant, sur des sentiers initiatiques où sculptures monumentales, gestes architecturales, potager dessiné par Louis Benech et chai conçu par Jean Nouvel, sont les totems d’un art de vivre où nature et culture ne font plus qu’un. Le vibrato des cigales se mêle à celui des concerts donnés au kiosque à musique signé Frank Gehry. On assiste à une conférence au centre d’art imaginé par Tadao Ando, on déambule dans la galerie Jean-Michel Wilmotte ou au pavillon de la photographie, creusé dans la terre par Renzo Piano. La nuit tombée, on se laisse guider par le chemin de planches et de fleurs-lucioles de Tatsuo Miyajima pour se faire une toile à la belle étoile…

En tout, ce sont plus de 30 œuvres majeures, toutes dédicacées au domaine vinicole, qui font la gloire de ses 200 hectares de pins centenaires, de garrigue, d’oliviers, de vignes et de chênes truffiers. À l’origine de ce projet un peu fou, Patrick McKillen, dit Paddy, un Irlandais aussi aisé que discret. De lui, on ne sait pas grand-chose. Si ce n’est qu’il est fan de U2, qu’il a fait fortune dans l’immobilier hôtelier et qu’il est tombé amoureux de ce coin de Provence dont il a fait l’épicentre de sa passion arty-vinicole.

L’épreuve du feu

Si au départ, on venait au Château La Coste pour déguster ses vins et se repaître de ses œuvres, aujourd’hui l’extension de l’hédonisme y est totale. Avec le chef-star argentin, Francis Mallmann, grand maître du feu, on s’enflamme pour une cuisine qui redécouvre l’art originel du cuit et met l’appétit sur des braises. Four à bois et dôme de feu, carré de porc de Provence, entrecôte de blonde de Galice, chou fumé caramélisé, oranges rôties et betteraves, prennent des saveurs inédites. Sous ses apparences simples, cette cuisine renoue avec des siècles d’expérience, et joue avec le feu en un festin joyeux. Béret noir, foulard et veste rouge, le maestro du brasero raconte : «Enfant, j’ai grandi en Patagonie, dans une maison qui vivait au rythme des flammes. C’est une langue culinaire très primitive, universelle, qui parle instinctivement à tout le monde.»

Escapade au Château La Coste

Retraite d’esthètes

Escapade au Château La Coste

Comme un hommage à l’intense lumière méditerranéenne, les panneaux d’Une Pause colorée, de Daniel Buren, jouent avec elle tout au long des journées d’été.

On peut également passer la nuit dans ce musée à ciel ouvert. Vingt-huit villas ont pris pied au cœur du domaine. Bois clairs, marbres et pierres brutes, verrières d’atelier, lin blanc, ces suites dans les vignes jouent de l’ombre et de la lumière, unissant le bleu du ciel à celui de la piscine privée pour dix d’entre elles. Et, là encore, le mobilier est signé par le gotha des designers. Dans le salon, la bibliothèque, le restaurant de la villa principale : table de Jean Nouvel, luminaires Serge Mouille, bureau Jean Prouvé, buffet Maurizio Cattelan… Quant au somptueux spa qui lui fait cohorte, il est l’œuvre du Hongkongais André Fu.

Dans ce lieu inscrit à la Gold List du magazine Condé Nast Traveler et sacré l’an dernier Meilleur hôtel par le voyagiste britannique Mr & Mrs Smith, on vient pour l’art, la table, le vin ou pour une retraite slow life. L’araignée de Louise Bourgeois ne symboliserait-elle pas dès lors l’infini ? Dans la mythologie chamanique, cet arachnide redouté prend en effet une tout autre dimension. L’art de tisser sa toile est lié au passage du temps et à la création, et ses fils de soie sont les guides du retour au divin. Bienvenue au Château La Coste.

À Bucarest, un élan euphorique de l'art attire un marché à l’affût

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Palais du parlement, Bucarest

Le Palais du Parlement abrite dans l’une de ses ailes le Musée national d’art contemporain.

Reportage. - Palais réinvestis, usines transformées, hangars détournés… Avec ses airs d’ex-Berlin-est, la capitale roumaine cherche sa voie dans un style archichaotique. À l’ombre d’un détonnant Musée d’art récent, pôles de contre-culture et galeries chics se multiplient.

Et si Bucarest était le nouveau Berlin ? Sa scène artistique est en effervescence, la ville regorge d’usines désaffectées, de lofts, d’ateliers, de villas somptueuses mais décrépites à investir. Une trépidante vie underground fait pulser ses nuits, les terrasses de restaurants attirent des foules de jeunes, le street art corrode ses murs… Bucarest est en ébullition. Installé dans le très chic et cosy restaurant Simbio, au sein de l’ancien quartier juif devenu un hub de galeries d’art, Andrei Ţărnea, le commissaire roumain de la saison France-Roumanie (qui vient de s’achever), le confirme. « Bucarest et Berlin ont tissé des liens au fil de l’histoire. Ce sont deux villes récentes, sans collines et peuplées de fonctionnaires venus d’un peu partout. Deux villes dont les élites ont fui pour échapper à la dictature, nazie ou communiste. Aujourd’hui, Bucarest cherche sa voie comme l’ex-partie socialiste de Berlin. Bref, entre ces deux villes le courant passe. » Pour preuve, vols low cost aidant, chaque mois des artistes font maintenant l’aller et retour, et nombre de ceux qui s’étaient installés à Berlin rentrent au pays. Dans cette ville où l’on peut encore se loger pour 250 à 400 € par mois en plein centre, d’anciennes usines se transforment en ruches productives, voir en phalanstères. Dans les quartiers sud, l’espace NOD (situé Splaiul Unirii 160) regroupe créateurs et entreprises, et le couple d’artistes a installé son atelier dans une ancienne usine de recherche en électricité (l’ICPE, Splaiul Unirii 313). « Pas facile de créer des collectifs, dit Răzvan, car les propriétaires se méfient des artistes, réputés mauvais payeurs. » Le (bulevardul Carol I 53) a, lui, tous les attributs de la contre-culture berlinoise : grande baraque en éternels travaux de rénovation, cour encombrée de planches et de carcasses de motos, dédale d’ateliers de sculpteurs et de plasticiens. À l’extérieur, un petit aquarium fait office de galerie d’exposition. « La plus petite de Bucarest ! », se vante le peintre Daniel Loagar.

L’impulsion de la ville de Cluj

Linea/closer to the moon, Bucarest

Linea / Closer To The Moon, un roof top où l’on peut dîner par tous les temps.

Non loin de là, à deux pas du Simbio, les lieux arty chics bourgeonnent. Les belles maisons de style néoroumain, abandonnées parfois depuis des décennies, n’attendent que des entrepreneurs décidés. La galerie (strada Mântuleasa 22) vient d’ouvrir. Suzana Vasilescu, sa fondatrice, y présente justement les travaux de deux artistes allemandes. Un peu plus loin, voici la magnifique Gæp et, tout à côté, la galerie Anca Poteraşu, toutes deux installées dans d’anciennes demeures préservées de la démolition. En plein centre-ville, impossible de rater le Palatul Universul (strada Ion Brezoianu 23-25), immeuble industriel qui regroupe start-up, ateliers, cafés et une salle de spectacle réputée : l’Apollo 111. Magda Radu, qui fut commissaire du pavillon roumain de la Biennale de Venise en 2017, y anime la galerie d’art conceptuel Salonul de Proiecte. Confiante dans l’avenir, elle ne sombre pas dans l’euphorie : « Le marché existe, mais il est étroit. La Roumanie est un grand pays… régional. »

Au nord de la ville, le Combinatul Fondului Plastic (strada Băiculeşti 29), ensemble d’ateliers de production créé dans les années 1950, accueillait hier les artistes officiels. Depuis, des galeries s’installent sur ce terrain au nom délicatement rétro. Andreea Stănculeanu dirige , un vaste cube aux cimaises blanches qui ne dépareillerait pas à Manhattan ou à Berlin. « Nous sommes en train de bâtir un marché de l’art, raconte-t-elle. L’impulsion est venue de la ville de Cluj, avec la première galerie nommée Plan B. Ce fut une idée géniale que de parler d’une “école de Cluj”. En vérité, ces artistes apparus il y a une quinzaine d’années dans cette ville, bien que tous figuratifs, récupérant les codes du réalisme socialiste pour les détourner, étaient tous assez différents les uns des autres, mais l’expression “école” a frappé les esprits. Maintenant, c’est au tour de Bucarest. Mais avant d’être le nouveau Berlin, il nous faut réussir à être Bucarest. » Un peu plus loin se tient la galerie Sandwich. À l’origine, juste un espace coincé entre deux hangars de tôle rouillée. Alexandru Niculescu en est le cofondateur. « Nous allons organiser une exposition en forme de garage sale, de vente d’œuvres sur le trottoir. Ici tout est possible, car les Roumains adorent la nouveauté. » Dans ce maelström d’initiatives volatiles, le (Muzeul de Artă Recentă) fait figure d’exception. Première institution privée de Roumanie, c’est le musée qui fâche. Financé par un magnat de l’industrie pharmaceutique, ce vaisseau de briques noires a été édifié par l’architecte Youssef Tohmé. Ce dernier a conservé la structure de la résidence d’une ex-ministre communiste pour la poser sur un rez-de-chaussée vitré. Dédié à l’art roumain, le MARe fait de l’ombre aux galeries comme aux musées d’État empoussiérés. Son nom est en soi une déclaration de guerre, car il signifie tout à la fois « mer » et… « grand ». Une mégalomanie qui en irrite beaucoup. D’où vient l’argent ? Les œuvres sont-elles authentiques ? Ses détracteurs n’y vont pas de main morte. Reste que le musée est superbe et sa visite indispensable (bulevardul Primăverii 15).

De grands collectionneurs roumains

Le MARe, Bucarest

Le MARe, Musée d’art récent, est la première institution privée du pays.

S’impose aussi la visite du le Musée national d’art contemporain. Situé dans une partie du gigantesque Palais du Parlement édifié par Ceauşescu, il compte plus de 10.000 œuvres. « L’emplacement du musée est catastrophique, reconnaît son directeur, Călin Dan, en poste depuis cinq ans. Mais le public est au rendez-vous. Moins que la symbolique du Palais, ce qui nous gêne, c’est l’état déplorable de sa construction. Chauffage défaillant, plomberie saugrenue… » Si Călin Dan veut croire à l’émergence de la capitale roumaine sur la scène artistique européenne, il en connaît les points faibles. « Il nous manque un lieu dédié à l’art, porté par l’institution publique. » Comme manquent une presse d’art de qualité et des incitations fiscales. « En dix ans, résume Andrei Breahnă, le propriétaire de la galerie Gæp, j’ai vu passer une quinzaine de ministres de la Culture. L’actuel est un spécialiste ès mathématiques ! » Il est clair que la Roumanie n’a pas encore pris le virage du soft power. Pourtant, Jean-Jacques Garnier, le commissaire français de la saison France-Roumanie, est positif. « Le marché de l’art est certes frémissant, mais la Roumanie compte déjà quelques grands collectionneurs, comme Ovidiu Şandor, qui dirige la autre ville dynamique. Quelques artistes font déjà parler d’eux sur la scène internationale, comme Ciprian Mureşan ou Adrian Ghenie, dont une œuvre s’est récemment vendue plus d’un million de dollars aux États-Unis. Du coup, les regards se tournent vers Bucarest pour y dénicher des pépites. Les marchands sont à l’affût des talents… et des coups à faire, car l’art est un business, et Bucarest est entré dans la danse. »

Le charme de l’authentique

Combinatul Fondului Plastic, Bucarest

Le site du Combinatul Fondului Plastic se mue en zone artistique hype.

Paradoxalement, l’un des charmes de cette capitale, c’est que rien n’y est encore formaté, mondialisé. Inutile d’y chercher ce que l’on trouve dans toutes les rues piétonnes de la planète. Bucarest est encore authentique. Ainsi, avec ses 450 bâtiments de style moderniste, c’est une manne architecturale. Son chaos urbain est magnifique. La moindre promenade y est une exploration. Les villas néoroumaines avec colonnes épaisses, frises et balcons sont à touche-touche avec les angles droits des fanas du Bauhaus.« Si Prague et Budapest, avec leur style propre, sont des symphonies de Beethoven ou de Mozart, Bucarest, c’est du free-jazz », dit Silviu Dancu, le chargé de la communication du MARe. Et pour cause, le jazz comme la techno ont élu domicile à Bucarest. Les clubs, tels l’Apollo 111 ou le Control, swinguent en permanence. Bucarest a même créé son style, la minimal techno roumaine, qui envahit la planète. Le DJ Rhadoo en est le chef de file. « Certes, admet David Maguet, le propriétaire des restaurants M60 qui aimantent les jeunes, à l’extérieur l’image de Bucarest n’est pas super, mais en réalité la ville est tellement séduisante que ceux qui la découvrent y reviennent. » Alors feu d’artifice ou pétard mouillé ? Nous le saurons dans quelques années. Pour l’heure, cette ville prend son envol. Les esprits s’échauffent, se prennent à rêver avant de retrouver un peu de sérénité. En résumé, comme le dit la galeriste Anca Poteraşu : « Bucarest est assurément la nouvelle destination cool en Europe. »

Andrei Breahna, galeriste de retour aux sources

Andrei Breahna, Bucarest

Andrei Breahna: «L’absence de structures permet encore à n’importe qui de progresser vite.»

Gæp, sa galerie, est une splendeur. Ancienne maison bâtie en 1898, elle est restée dans son « jus ». Après des années passées à Paris, Andrei Breahna a décidé de rentrer à Bucarest en 2013. En 2014, il ouvre sa première galerie pour y exposer des artistes d’Europe de l’Est. Désormais, il croit à l’émergence d’un marché de l’art performant. « À défaut de vision, d’institutions, cette ville a pour elle sa désorganisation. L’absence de structures permet encore à n’importe qui de progresser vite. Il y a des artistes à découvrir partout. Ils ne sont pas encore en galerie, à nous de les dénicher, de les exposer. La classe moyenne roumaine a désormais des appartements, des voitures, elle voyage. Il ne lui manque que l’art contemporain pour se mettre au niveau européen. Nous allons lui en fournir. Et, ensuite, nous exporterons la culture roumaine. »

Gæp, strada Plantelor 50. gaepgallery.com

Ioana Sisea, l’artiste bien dans sa bulle

« À l’époque communiste, dit-elle, toutes les grands-mères de Roumanie étaient chargées de fabriquer le savon de la famille. » Pour ne pas perdre ce savoir-faire, Ioana Sisea, la trentaine échevelée, s’est mise au travail. Avec les 400 kilos de savon fabriqués par ses soins, elle a reproduit son lit et attend depuis qu’il fonde… Fondue, cette artiste pétillante se rêve en « actionniste ». Elle a ainsi exposé, dans la vitrine d’un bar du quartier piéton du centre-ville, la vidéo d’une de ses performances où, en robe noire et stilettos, elle lèche consciencieusement une Rolls-Royce durant vingt-cinq minutes. Scandale !

ioanasisea.com

Anca Poterasu, galeriste internationale

Anca Poterasu, Bucarest

Anca Poterasu: «J’aime sentir que je suis le futur».

« J’ai ouvert ma première galerie dans mon appartement de 20 mètres carrés. » Aujourd’hui, la galeriste investit une magnifique maison édifiée au XIXe siècle. « Avec ces 90 mètres carrés, je veux attirer les artistes étrangers à Bucarest, que j’adore. Ils seront ici en résidence. » Présente aux foires de Bâle, de Madrid, de Barcelone, elle possède une autre galerie à Leipzig, en Allemagne. Spécialiste de la photographie, elle reconnaît que le marché est encore hésitant, mais qu’une énergie débordante permet les plus grands espoirs. « J’aime sentir que je suis le futur. »

Strada Popa Soare 26. ancapoterasu.com

Carnet de route

Avant de partir, passage obligé par le livre Dracula et autres écrits vampiriques ,récent et mordant volume de la Pléiade (chez Gallimard). L’ouvrage comporte une rareté, Le Sang du vampire, de Florence Marryat.

Control : café, salle de concerts, restaurant…, le lieu cumule les bonnes raisons d’être fréquenté. Strada Constantin Mille 4. control-club.ro

Apollo 111 : café, théâtre, salle de concerts et restaurant. Situé dans le Palatul Universul, strada Ion Brezoianu 23 - 25. apollo111.ro

Linea / Closer To The Moon : un roof top bardé d’igloos pour un dîner en plein ciel, et un restaurant intérieur. Strada Lipscani 17.

Simbio : café-restaurant chic et cosy. Brunch idéal. Strada Negustori 26. simbio.ro

Casa M60 : tenu par un Français, le dernier-né de M60, un restaurant original avec terrasse. Strada Domnita Ruxandra 7.

RembrandT Hotel : un peu bruyant le week-end en raison des bars branchés, mais très bien situé. Strada Smârdan 11. rembrandt.ro

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Visite guidée dans l'atelier de Claire Morgan, l’artiste qui fait mouche

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Claire Morgan, l'artiste fait mouche

L’atelier de Claire Morgan : juxtaposition de pièces chaleureuses aux murs colorés et d’espaces réservés à l’activité artistique et à la naturalisation de petits animaux.

Peintre, dessinatrice, sculptrice, taxidermiste…, la plasticienne irlandaise, qui expose en France tout l’été, est une espèce rare sur la planète Arty. Elle nous a reçus dans sa belle maison-musée, près de Newcastle. Comme une réponse à l’impermanence des choses, le temps, chez Claire Morgan, suspend son vol.

Gateshead, banlieue de Newcastle, ville néoclassique de l’Angleterre du Nord-Est. La maison en briques de Claire Morgan a le soleil sur la façade. L’artiste nous ouvre : cheveux blancs avec un dégradé de bleu sur les pointes, jupe et chemisier aux imprimés mixés, chaussures léopard… L’excentricité d’une Vivienne Westwood mâtinée de l’humour d’un Paul Smith. Visite guidée de sa maison typiquement anglaise avec murs de couleur, esprit bohème et trouvailles de brocante. L’oiseau sert de fil conducteur, sous forme de faisan et de geai naturalisés, de motif de papier peint assorti à la parure du lit, de reproduction de gravures d’Audubon ou de nids exposés dans une bonbonnière XIXe… Sans compter l’essentiel, la place de l’oiseau dans son œuvre de plasticienne. En vrac, il y a des corneilles, des étourneaux, des chouettes, des paons, des canaris… Tous empaillés.

Claire Morgan, l'artiste qui fait mouche

Une passion animale

«Les canaris de l’Installation Beacon sont une espèce sentinelle. L’exemple classique est le recours aux canaris dans les mines de charbon pour détecter la présence de monoxyde de carbone», prévient-elle dans le catalogue de son exposition Perpetually at the Centre,à la galerie Karsten Greve à Paris, en 2017. C’est dire l’importance des questions sociétales et environnementales dans son travail - naufrage des migrants en Méditerranée ou réchauffement climatique de la planète… Son travail ? Il y en a un parfait exemple dans la cage d’escalier bleu glacier. Soit une sphère en suspension, faite de petits confettis en plastique espacés sur du fil nylon, avec, à l’extrémité, une souris plus vraie que nature, prête à plonger dans le vide. Tous ces éléments font partie intégrante de son vocabulaire de plasticienne : la rigueur minimaliste de la composition, le polythène comme symbole de la société de consommation, la chute, ou le mythe d’Icare revisité, les animaux métaphores de nous autres, frères humains, la beauté diaphane de l’installation, la gravité du sujet, une espèce de vanité évoquant le temps qui passe, la fragilité des choses, l’absence, le deuil, la mort.

La nature est partout

Claire Morgan, l'artiste fait mouche

Mouches enfilées sur des fils de nylon, geai empaillé, photo et dessin de renard… : la nature présente dans l’atelier révèle l’ambivalence des productions de Claire Morgan, entre le vrai et l’artificiel, le naturel et le fabriqué, le fixe et le mouvant, l’homme et l’animal.

Claire Morgan a ceci de spécifique qui la distingue des autres artistes, comme Maurizio Cattelan, qui utilisent des animaux naturalisés : elle pratique la taxidermie elle-même. Un art qu’elle a appris en suivant des stages dans le Yorkshire, à Copenhague et ensuite sur le tas. «Voulez-vous voir mon congélateur,» lance-t-elle tout à trac, comme si elle proposait d’admirer son jardin. On acquiesce. Il faut traverser l’atelier éclairé par de grandes fenêtres au nord. Partout, des oiseaux et des renards dessinés au fusain, à la gouache ou avec des résidus de taxidermie… On remarque alors que son foulard en soie vert est parsemé de renards à la fourrure rousse. À l’office, Claire ouvre le congélateur : bien rangés dans des sacs plastiques, des écureuils, des mulots, des volatiles… Petite précision, mais de taille : l’artiste ne tue jamais les animaux, elle les utilise morts de leur propre mort, accidentés de la route, d’une baie vitrée ou autre. Dans les pièces attenantes travaillent ses deux assistants. Ils enfilent des mouches sur des fils en vue de futures installations. Là aussi, côté insectes, elle a ses filières. Avant, elle élevait les mouches elle-même, époque révolue, aujourd’hui elle les achète chez des fournisseurs d’articles de pêche… Chez elle, la nature est partout, petite famille de lapins naturalisés ou boîtes à papillons sur une étagère de bibliothèque, plafonnier imaginé à l’aide de branches de monnaie-du-pape aux feuilles translucides… On ne s’étonnera pas de son exposition au Musée de la chasse et de la nature, en 2015, ou de celle, chez Deyrolle, à Paris, achevée l’an dernier. Leurs univers sont les mêmes. Mais Claire ne s’en tient pas au cabinet de curiosités, elle aime le vivant. En témoignent ses cinq chats, Clarkie, Glessen, Ned, Pumpkin et Grace Jones, alignés en rang d’oignons sur des chaises ou jouant avec les rais de lumière dans la cuisine.

Panser les plaies

Claire Morgan, l'artiste fait mouche

Claire Morgan réalise son art de taxidermiste au-dessus de feuilles de papier, qui recueillent les résidus et les fluides de l’opération. Sang et os sont ainsi partie prenante d’un travail graphique où le gestuel voisine la plus grande minutie.

Claire Morgan est née en 1980 à Belfast. Son père est professeur de mathématiques, sa mère, qu’elle a perdue très tôt, infirmière. Sa pratique semble être à la croisée de l’héritage familial, des structures géométriques, presque pixélisées, avec des fragments de plastique qui ressemblent à des pétales de fleurs de cerisier, des grains de charbon ou des pissenlits… Et puis cette façon de donner une seconde vie aux animaux, de panser les plaies. Avec aussi une expérience fondatrice du deuil qu’elle n’évoque pas, préférant dire : «Mes parents catholiques adoraient parler de la mort.» Dès ses études aux Beaux-Arts de Northumbria, alors qu’elle aime les forêts tropicales du Douanier Rousseau, elle s’intéresse aux éléments organiques. Ses influences, elle ne les emprunte pas au monde de l’art, mais plutôt à celui de la littérature (William S. Burroughs, David Foster Wallace, Yuval Noah Harari…) ou de la musique (Björk, Jon Hopkins, Aphex Twin…).

Apprivoiser la mort

«Mon travail porte sur le temps qui passe, la métamorphose, les choses qui me font peur, comme la mort. Être créateur, c’est vouloir contrôler les choses…», glisse-t-elle devant un thé et des cookies, avant de parler de son actualité. Lauréate de la dernière édition du prix de dessin de la Fondation d’art contemporain Daniel & Florence Guerlain, on la retrouve dans des expositions collectives - Bêtes de scène (1), à la Villa Datris, à L’Isle-sur-la-Sorgue, et Biennales épHémères (2), au château de Monbazillac - ainsi qu’à Londres, au Musée Horniman (3), un bâtiment de style Arts & Crafts qui présente des collections d’anthropologie et d’histoire naturelle. Collections que Claire Morgan fait dialoguer avec des dessins de sang et d’os, des vitrines abritant des animaux naturalisés accompagnés de cônes en plastique noir. «Il y aura un renard, un écureuil, un corbeau et une perruche… J’essaie de connecter le monde à part du musée et celui de la vraie vie et de la réalité de la ville. Ainsi, les animaux sont ceux que nous trouvons aux abords de Londres, le renard étant sur la crête, à la fois proche de nous et rétif à toute domestication. Quant au plastique, il est issu des sacs-poubelle de la rue.» Claire Morgan, ou une certaine poétique de la violence.

(1) Jusqu’au 3 novembre, à la Villa Datris, à L’Isle-sur-la-Sorgue. fondationvilladatris.fr
(2) Jusqu’au 30 septembre, au Château de Monbazillac, à Monbazillac. lesrivesdelart.com/biennales-ephemeres.
(3) As I Live and Breathe, jusqu’au 4 mai 2020, au Musée Horniman, à Londres. horniman.ac.uk.

New York ouvre grand ses portes aux designers français

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La "French Touch" à New York

Console Ledge de Simon Johns présentée à Wanted Design. Intérieur de la Carpenters Workshop Gallery.

Galeries, architectes d’intérieur et designers français ont compris le potentiel de la métropole américaine où les clients apprécient le style tricolore.

Chacun pourrait se dire que ce n’est pas si nouveau. New York est un hub créatif depuis toujours et influence le monde entier. Pourtant, en termes de design, la ville n’était pas à la hauteur. Mis à part les salons Tefaf et l’ICFF, surtout spécialisés dans le design d’art de très haut vol, l’offre n’était pas au rendez-vous.

C’est le constat qu’ont fait Odile Hainaut et Claire Pijoulat, deux Françaises travaillant respectivement dans le brand management et chez Roche Bobois sur le territoire américain. Il n’a pas fallu longtemps pour que ces deux jeunes femmes entreprennent de grands projets et changent le cours des choses. « Nous nous étions rencontrés par hasard, nous avions discuté pendant trois heures, nous étions tellement sur la même longueur d’onde que nous avons commencé l’aventure peu de temps après. » En effet, elles lançaient quelques mois plus tard Wanted Design. L’idée ? Créer un événement à la fois culturel, pédagogique et commercial pour mettre en avant la créativité française. Avec le soutien de l’ambassade de France, elles offrent deux éditions, l’une à Manhattan depuis neuf ans, l’autre à Brooklyn depuis six ans. « Dès la première année, cela a été un vrai succès, nous avons eu 30 exposants. »

Des collaborations avec des designers français

Lit Tapis Volant, Maria Pergay

Lit Tapis Volant, Maria Pergay, galerie Demisch Danant.

Aujourd’hui, elles comptent parmi leurs invités des designers de renoms comme Matali Crasset, François Azambourg ou encore Philippe Nigro. Si le deuxième programme leur tenait aussi beaucoup à cœur c’est qu’il est différent dans la forme. « À Brooklyn, nous voulons développer des projets plus culturels, plus pédagogiques, c’est un véritable campus. » Grâce à des partenariats noués avec de nombreuses écoles, comme l’école Boule et Strate, en France, ou l’université de Shanghaï, elles renforcent les échanges avec le monde entier. Puis elles mettent en place un projet, aujourd’hui emblématique de leur démarche : le « Transatlantic Creative Exchange », soit des collaborations entre des studios ou des ateliers américains et des designers français. « Ils travaillent ensemble sur un projet exposé ensuite durant notre événement. Ils ont carte blanche. Souvent ces rencontres se prolongent, les artistes sont boostés et développent une meilleure connaissance des deux pays. »

Elyse Graham, une des participantes de cette année, garde un très bon souvenir de son expérience avec le CIAV : « J’ai traduit le processus expérimental que j’utilise pour modeler la résine avec les techniques de fabrication du verre. J’ai pu jouer avec la transparence et la lumière, ce que je n’avais jamais réussi à faire auparavant. » Preuve de leur succès, les deux jeunes femmes sont promues, en 2017, chevaliers dans l’ordre des Arts et des Lettres pour avoir développé le design entre la France et les États-Unis. « Nous sommes les ambassadrices de ces nouveaux créateurs. » Un positionnement parfait pour présenter, ce mois de septembre à Paris, au salon Maison & Objet, six jeunes américains issus de leur programme pour la catégorie « Rising Talent Awards ».

À la recherche de perles rares

Pieds de Bouc, Marc Bankowsky

Pieds de Bouc, Marc Bankowsky, Maison Gérard.

Du côté des créatifs, Valérie Pasquiou, elle, a connu le véritable rêve américain. Après avoir quitté le Pays basque à la suite d’un pari d’adolescente, elle débarque par hasard à Los Angeles. « J’ai pointé le doigt sur un atlas, j’ai relevé le défi et maintenant cela fait trente ans que je suis sur le continent américain !» À ce moment, tout s’accélère, elle commence à créer des décors pour l’industrie du cinéma, enchaîne les opportunités qui s’offrent à elle jusqu’au jour où elle décide de monter son agence d’architecture d’intérieur dans la ville de ses rêves, New York. Aujourd’hui elle aménage des appartements privés comme des bureaux pour L’Oréal. Elle y apporte la French touch et s’adapte à un marché différent. « Les intérieurs à l’américaine sont très stériles, presque comme une couverture de magazine. J’y mets de la chaleur et surtout je raconte des histoires. Ici c’est un autre monde, il leur faut des meubles de rangement partout, tout doit être grand, ils sont moins dans le détail. Mais j’aime leur façon de travailler, il y a un vrai sens du réseau, des collaborations, tout va très vite. »

Les galeries françaises s’adaptent, elles aussi, à ce marché pour étendre leurs champs des possibles. « Quand on réussit aux États-Unis, on a un avocat, un psy et un décorateur », s’exclame Benoist Drut, un des deux partenaires de la Maison Gérard. Ce grand passionné est un sacré numéro. Il le dit lui-même : « J’aime semer la zizanie !» Depuis toujours, l’homme est fasciné par les antiquités. «À 6 ans, je faisais déjà les brocantes avec mes parents et je collectionnais un peu de tout. » Les études ne sont pas son fort, après un deug de droit, il part sur un coup de tête à New York. À peine arrivé sur le territoire, il commence à travailler aux côtés de créatifs. Le garçon doit rester six ans aux États-Unis pour obtenir son visa. Prisonnier de l’Amérique, il en profite pour voir les bons côtés de cette folle aventure. Très vite, il étend son réseau et rencontre Gerardus Widdershoven de la Maison Gérard. « Il avait vu en moi le gamin qu’il était vingt ans plus tôt, et m’a pris sous son aile. »
Widdershoven l’emploie quelque temps puis lui propose une association « à parts égales ». Si, à l’époque, la galerie est spécialisée dans l’Art déco, contrairement à la mode de l’Art nouveau, Benoist Drut va doucement bousculer les habitudes en proposant des pièces de design contemporain. « Lors d’un passage en France, j’ai découvert le travail d’Hervé van der Straeten. J’étais convaincu qu’il fallait l’inclure dans nos collections. C’est ainsi que nous nous sommes intéressés à du mobilier plus moderne. » S’écrit alors le second chapitre de la Maison Gérard. La clientèle américaine est d’abord sur-prise. Mais le jeune homme n’en fait qu’à sa tête. Aujourd’hui, pari sur le temps réussi, 75 % de ses ventes sont constituées de mobilier contemporain. Si, il y a encore quelques années, il n’aurait jamais osé choisir certains designers, aujourd’hui il élargit sa collection avec des pièces toujours plus surprenantes. Des créateurs comme Garnier & Linker, ces jeunes étoiles montantes du design, sont même de la partie. Les Américains en raffolent.

Cédric Morisset, directeur de la très internationale Carpenters Workshop Gallery, ne dira pas le contraire. « Les États-Unis représentent pour nous 40 % des ventes. New York est une porte d’entrée, un cheval de Troie. » Il était donc essentiel pour cette galerie, présente déjà à Londres et Paris, de trouver sa place sur ce marché. Ici, l’équipe en profite pour être sur tous les salons et renforcer son programme culturel en créant des collaborations avec les musées et les grandes écoles américaines, comme Cranbrook, à Detroit. « Je crois vraiment à un retour de ces institutions de renom dans quelques années. » En attendant, il continue de chercher les perles rares du design. Sa dernière en date ? Steven Haulenbeek. À Chicago, le designer expérimente la matière et moule le bronze dans le froid glacial de la ville. Un résultat étonnant, très organique.

Du côté du marché du vintage, Hugues Magen, ancien danseur à Paris, a, quant à lui, voulu montrer, dans sa galerie près de Greenwich Village, le design d’après-guerre, avec les grands noms et les oubliés. « Ici, les clients savent qu’ils trouveront des classiques mais découvriront aussi de nouvelles pièces. Chaque année, je propose un thème différent comme Pierre Sabatier, Pierre Chapo, Alain Douillard… » Une démarche quasi pédagogique, que l’on retrouve chez Demisch Danant. Stéphane Danant, formé aux puces de Saint-Ouen, s’occupe surtout du sourcing. Il fait partie de ceux qui ont choisi de rester à Paris tout en ayant un pied à New York. « Les États-Unis ont surtout révélé mon identité française », affirme-t-il. C’est, donc, Suzanne Demisch qui gère la galerie. Stéphane explique l’évolution : « Je me souviens encore des débuts, en 2005, quand, pendant les foires, les Américains pensaient que j’étais Pierre Paulin. Ils s’intéressaient peu à l’histoire du meuble et nous faisaient confiance. Puis les années ont passé, les ventes se sont démultipliées, le design contemporain s’est imposé dans nos foires et cohabite désormais parfaitement avec l’ancien. Les gens n’ont pas le temps de se focaliser sur une période, c’est beaucoup plus volatil, ils achètent de tout et aiment le mélange. » Et surtout le charme à la française.

Galeries indépendantes, musées et foires internationales, Chicago, la conscience de l’art

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Chicago, la conscience de l'art

Art on the Mart : toute l’année des œuvres multimédias sont projetées sur la façade du Merchandise Mart, le plus grand bâtiment du monde, inauguré en 1930.

La grande métropole du lac Michigan connaît un bouillonnement artistique sans précédent. La connexion entre galeristes engagés, institutions ambitieuses, énergies créatives et une foire d’art devenue incontournable en fait un pôle culturel majeur.

Dans son bureau qui surplombe la Michigan Avenue et tout le centre de la ville, la présidente du Chicago Architecture Center balaie la vue : «Cette ville est un musée à ciel ouvert.» Lynn Osmond a bien conscience de la richesse entre ses mains : la terre d’accueil de Ludwig Mies van der Rohe, l’architecte-star du Bauhaus, devenue capitale de l’architecture contemporaine. Elle n’est pas la seule : plus de 450 volontaires et citoyens de la ville s’occupent de la faire visiter aux voyageurs. Parmi les 7 000 tours organisés, la croisière architecturale est un must pour connaître cette capitale qui a érigé le premier skyscraper (littéralement : «gratte-ciel») au monde et dont le centre-ville a été entièrement repensé après le grand incendie de 1871, qui avait tout détruit.

Ce trajet en bateau sur la rivière Chicago permet d’admirer notamment le bâtiment de la Poste centrale, construit dans les années 1920, ou encore le Millennium Park (un espace vert qui étire la ville depuis 2004), avant d’arriver sur le Navy Pier, la longue jetée qui accueille chaque année, au mois de septembre, Expo Chicago (1). Cette foire d’art contemporain réunit 135 galeries et attire tout un (petit) monde. «Cela a pris du temps, mais Chicago est devenue incontournable», explique Rhona Hoffman, la galeriste qui fait office de manuel d’histoire dans les milieux d’art de la cité. Quant à la directrice artistique d’Expo Chicago, Stephanie Cristello, elle note «une augmentation de la puissance de la foire lors de ses trois dernières éditions.» Et évoque les galeries internationales qui viendront pour la première fois cette année sur les rives du lac Michigan. Les noms prestigieux de Thaddaeus Ropac (Londres, Paris, Salzbourg), de Marian Goodman (New York, Paris, Londres), de Nara Roesler (São Paulo, Rio de Janeiro, New York) ou encore d’Axel Vervoordt (Anvers, Hongkong) viennent compléter ceux de Templon ou de Perrotin, pour citer deux fidèles Français. Dans cette longue liste, la marchande Mariane Ibrahim, qui s’est fait un nom aux États-Unis à travers l’art africain, est une illustration de la dynamique actuelle de la ville : il y a quatre ans, elle rechignait à exposer à Chicago, alors qu’elle y trouve aujourd’hui 70 % de sa clientèle. Résultat, Mariane s’y installe, fermant boutique à Seattle, où elle était établie depuis dix ans.

Chicago, bouillonnement arty

Un écosystème arty

«C’est comme si tout était prêt pour cela, organiquement, estime Valerie Carberry, associée et directrice de la Richard Gray Gallery. Il y a un véritable écosystème qui a rendu la scène artistique solide, avec une grande variété de collectionneurs de haut niveau très informés, des institutions sérieuses et ambitieuses, qui se renouvellent sans cesse, et des écoles d’art extrêmement réputées.» Dans cet ensemble, tout se connecte : les artistes viennent enseigner à Chicago et y restent ; les collectionneurs sont au comité de plusieurs musées ; galeristes et institutions se coordonnent dans un mouvement naturel, presque sans frontière entre public et privé. Valerie Carberry en sait quelque chose. Dans la sublime Gray Warehouse – un ancien entrepôt – inaugurée il y a deux ans, elle exposait avant l’été Theaster Gates, incontournable figure arty de Chicago, récemment exposé au Palais de Tokyo, à Paris. L’artiste afro-américain, représenté donc par l’une des plus anciennes et prestigieuses galeries de Chicago, œuvre parallèlement sur un autre front au sud de la ville.

Fin 2018, dans un quartier moins bien loti, à deux minutes de la future fondation Obama, il inaugurait la Stony Island Arts Bank, lieu le plus cool de Chicago : dans les locaux d’une ancienne banque, il a conçu une bibliothèque pensée au millimètre, un bar hors du temps, où viennent mixer des gens du quartier, et une salle d’exposition – restaurée, mais pas trop – aux murs de laquelle s’étalent 2 922 portraits de Barack Obama, peints jour après jour par l’artiste américain Rob Pruitt le temps du mandat de l’ex-président des États-Unis (20 janvier 2009-19 janvier 2017).

À l’opposé, au nord de la ville, dans le quartier résidentiel et huppé de Lincoln Park, un autre lieu hybride était dévoilé au même moment : Wrightwood 659. Un espace imaginé par l’architecte-star japonais Tadao Ando (comme la demeure voisine de son propriétaire, Fred Eychaner – philanthrope, homme d’affaires discret et immense collectionneur d’art asiatique), affichant l’ambition de montrer un art engagé sans créer de collection. Lors de la dernière exposition qui y a eu lieu, sur le thème du genre, des clichés réalisés par l’activiste américain Harvey Milk côtoyaient ceux de l’écrivain français Hervé Guibert. Ici ou au sud de la ville, sans que l’on puisse l’expliquer, chaque chose semble être à sa place.

Un héritage fort

Chicago, la conscience de l'art

Au Wrightwood 659, renové par Tadao Ando, les expositions sont résolument engagées, à l’image de la ville qui s’est dotée d’une maire noire et homosexuelle.

La diversité de ses quartiers rend la métropole riche d’une énergie qui lui appartient et qui fait d’elle une ville américaine à part. «Nous avons ici la positivité de Los Angeles, l’état d’esprit de New York et l’authenticité du Midwest, résume la galeriste Carrie Secrist, excentrique quinquagénaire et business woman en leggings. Le résultat est cordial, impulsif et intelligent.»
Chicago n’a jamais été neutre. «Nous venons d’élire une maire noire et homosexuelle, ce n’est pas rien, s’enflamme Rhona Hoffman, évoquant Lori Lightfoot, intronisée en mai dernier. Il y a ici une conscience, un dialogue social et une importante communauté noire engagée.» C’est là que, au milieu du XXe siècle, les Noirs fuyant le Sud raciste (The Great Migration) ont trouvé refuge. Un héritage artistique y a germé et, dans les différentes institutions de la ville, une sorte de fil invisible et subtil relie plusieurs œuvres.

Au Musée de la photographie contemporaine, une vidéo de l’Américain David Schalliol (The Area) montre une firme multimillionnaire qui rachète et détruit plus de 400 maisons de familles afro-américaines au sud de la ville. Au Musée d’art contemporain, une œuvre de l’artiste Arthur Jafa marque les visiteurs : Love Is the Message, the Message Is Death met en scène, en sept minutes, dans un montage d’images tendu sur fond de Kanye West, la condition noire aux États-Unis. Au sein de la galerie Rhona Hoffman, les clichés d’Afro-Américains de la photographe Deana Lawson interpellent par leur beauté et leur crudité. Ce n’est pas un hasard si la superstar de la mode Virgil Abloh a choisi de réaliser sa première grande exposition à Chicago, cette sleeping beauty largement réveillée et prête à se montrer généreuse, énergique et même révoltée.

(1) Cette année, Expo Chicago se tient du 19 au 22 septembre.

Guide pratique et bonnes adresses

L’Ace Hotel
Ace a réussi la prouesse de créer une chaîne à taille humaine, où chaque hôtel se fond dans la ville où il est situé. L’adresse de Chicago ressemble à… Chicago. Au milieu des œuvres d’artistes locaux, on traque la faute de goût : aucune. Le coffee-shop Stumptown Coffee Roasters, installé au pied de l’hôtel, est le lieu de rendez-vous parfait avant de partir arpenter le quartier des galeries.
311 N Morgan Street. acehotel.com.

Le Bar Biscay
Johnny Anderes, musicien quand il n’est pas aux fourneaux, sert une cuisine inspirée du Pays basque et des grands classiques français. S’asseoir au bar, commander un cocktail (un Perfect Bijou), et laisser la sympathie des propriétaires et de leur équipe vous envahir…
1450 W Chicago Avenue. barbiscay.com.

Le MOCP
Le Musée de la photographie contemporaine. Avant les années 1980, c’était une petite galerie. Devenu musée, le MOCP a acquis une stature internationale. Localement, c’est le seul lieu spécialisé en photo. Les travaux de célébrités comme Dorothea Lange, Robert Adams, Walker Evans ou encore Sally Mann ont été montrés ici, mais c’est surtout à travers la découverte de talents émergents que s’est forgée la réputation de l’institution, grâce à sa directrice, Karen Irvine. L’exposition intitulée Go Down Moses est à voir jusqu’au 29 septembre.
600 South Michigan Avenue. mocp.org.


Thanks for Nothing, une association pour lever des fonds... et changer le monde

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Les fondatrices de Thanks for Nothing

Anaïs de Senneville, Bethsabée Attali, Blanche de Lestrange, Marine Van Schoonbeek et Charlotte Stotzingen, fondatrices de Thanks for Nothing.

Elles sont cinq jeunes femmes trentenaires venues du monde de l’art et très connectées. En 2017, elles ont décidé de changer le monde en faisant appel aux artistes pour lever des fonds. Deux millions d’euros et quelques événements plus tard, dans un grand colloque au Louvre, elles font le bilan de tout ce travail pour inspirer une autre génération.

Si la beauté est la vérité, comme l’a écrit le poète romantique anglais John Keats, elle peut aussi être une arme. C’est ce que se sont dit les cinq créatrices de Thanks for Nothing. Ces cinq jeunes femmes, toutes venues du monde l’art, ont rêvé en 2017 que l’art pouvait être un moyen de faire le bien dans le monde. Thanks for Nothing («merci pour rien») «est une association qui mobilise les artistes et le monde de la culture en organisant des événements artistiques et solidaires ayant un impact majeur sur la société», explique Anaïs de Senneville, co-fondatrice de l’association, «dans trois axes principaux : la défense des droits de l’Homme, l’éducation et l’environnement.» Le premier événement organisé en septembre 2017, une vente aux enchères d’œuvres d’artistes stars, avait levé plus de deux millions d’euros entièrement redistribués à cinq ONG travaillant avec les réfugiés.

Allier art et citoyenneté

Demi-finalistes de notre prix Business With Attitude en 2019, Thanks for Nothing organise le 20 septembre à l’auditorium du musée du Louvre un colloque Art & Engagement. Au menu, des poids lourds du monde de l’art et de la culture : Tomas Saraceno, dont le projet au Palais de Tokyo autour de ses araignées a été le blockbuster de la saison dernière ; Barthelemy Toguo, artiste camerounais exposé dans le monde entier ; Jean-Michel Othoniel, Augustin Trapenard, parrain de Bibliothèque sans Frontières, ou encore Francesca Thyssen-Bornemisza, grande collectionneuse.

L’objectif du colloque est de penser les liens entre pratique artistique et action citoyenne, en présentant des initiatives innovantes issues d’acteurs engagés du monde de l’art, académique et associatif. Il rassemble des artistes, galeristes, philosophes, journalistes et dirigeants d’associations.

Cet événement unissant art et philanthropie, est conçu comme une sorte de TED Talk. «Nous avons choisi des artistes qui agissent réellement», explique Anaïs de Senneville. «Par exemple, Barthelemy Toguo a créé une fondation pour l’éducation des populations locales dont les femmes au Cameroun. Othoniel a mis sur pied une association pour aider à l’intégration des jeunes de la communauté LGBTQ+ exclus, en leur donnant du travail dans la communauté artistique. Anna Vargas, architecte vénézuélienne, a reçu d’Afield Fellowship une bourse destinée à des personnes du monde de la création qui ont un impact sociétal. Francesca Thyssen-Bornemysza dirige une fondation qui agit pour sauver les océans. Nous voulons inspirer la jeune génération et inspirer les Français sur ce qui se fait à travers le monde.» Ce deuxième colloque a été mis sur pied avec l’aide des étudiants de Sciences Po.

Deux ans après...

Le colloque au Louvre permettra également de faire le bilan, deux ans plus tard, de la première action, la vente We Dream Under the Same Sky, organisée avec la Galerie Chantal Crousel. «Deux ans plus tard, qu’est-ce que cet événement a apporté et qu’est-ce qui a été réalisé avec l’argent récolté», explique Anaïs de Senneville. Grâce aux cinq fondatrices de Thanks for Nothing, l’art n’est plus pour le plaisir des collectionneurs. Il peut changer le monde de tous les autres, et surtout de ceux qui ne rentrent jamais dans un musée ou une galerie.

Colloque Art & Engagement, vendredi 20 septembre, de 14 heures 19 heures à l'auditorium du Louvre. Gratuit, dans la limite des places disponibles.

Le plasticien Paul Heintz, sixième lauréat de la bourse Révélations Emerige

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"Foyers", œuvre de Paul Heint, lauréat de la bourse Révélation Emerige

Extrait de Foyers, 2018, de Paul Heintz.

L'artiste diplômé des Beaux-Arts de Nancy, âgé de 30 ans, remporte la sixième bourse Révélations Emerige. Son œuvre multiforme, qui croise fiction et réalité, a impressionné le jury présidé par le collectionneur Laurent Dumas.

À 30 ans, le Lorrain Paul Heintz vient de recevoir la bourse Révélations Emerige, graal des artistes de moins de 35 ans, sans galerie et travaillant en France. L’annonce, lors du vernissage mardi soir dans une affluence record, signe l’intégration de ce diplômé des Beaux-Arts de Nancy, des Arts décoratifs de Paris, et du Fresnoy au réseau hyperactif de la scène émergente contemporaine. Ses prédécesseurs - Vivien Roubaud, Lucie Picandet, Edgar Sarin, Linda Sanchez et Paul Mignard – y tracent déjà leur sillon. Fort des 15.000 € de la bourse, Paul Heintz produira une exposition l'an prochain à la galerie gb agency.

Vidéaste inspiré

Paul Heintz

L'artiste Paul Heintz, âgé de 30 ans, a remporté la bourse Révélations Emerige 2019.

Gaël Charbau, commissaire de l'aventure depuis le début, ancien directeur artistique de la Nuit Blanche 2018 et fin connaisseur de la scène émergente gardera un œil sur lui comme sur les autres finalistes. Passer au tamis du jury de sélection de la bourse Révélations, qui examine près de 800 dossiers chaque année, demande une envie, un engagement, bref, une énergie concentrée. Le travail de Paul Heintz affiche tout cela et plus encore de promesses. Sa vidéo Foyers où un pyromane entreprend de réchauffer un monde un peu froid, comme son travail, entre fiction et documentaire, sur les copistes à la chaîne de Shenzen dont les toiles se retrouvent à Montmartre, a bluffé le jury et l’a démarqué des 11 autres finalistes.

Voltaire, nouveau lieu de création

Ses œuvres ainsi que celles de ses camarades et des 5 précédents lauréats sont à découvrir à Voltaire (1), nouveau lieu de la création contemporaine proposé par le groupe immobilier Emerige pour un an. Deux expositions – les anciens lauréats au rez-de-chaussée, les jeunes à l’étage –, le tout dans une «boîte blanche» de plus de 1500 mètres carrés qui propose en vitrine une librairie et un restaurant pop-up des Cuistots Migrateurs et, dans une des expos, le canari de la gardienne des lieux. Ouvrez l’œil.

(1) «Cinq ans, exposition rétrospective» ; «L’effet Falaise», exposition collective des 12 artistes de la bourse Révélations Emerige 2019. Du 9 octobre au 17 novembre à Voltaire, 81, boulevard Voltaire, 75011 Paris. revelations-emerige.com.

Biennales, galeries, collectifs… À Budapest, la scène artistique est en pleine ébullition

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Budapest, l'art de rêver

Le Parlement, bijou d’architecture posé sur les bords du Danube.

Biennale autofinancée, galerie-musée, collectifs… Jeune et créative, la scène artistique se déploie en marge des institutions publiques, soutenue par des collectionneurs engagés.

«Quand je veux sortir, je ne sais pas où donner de la tête tellement il y a de choses intéressantes à faire, entre les vernissages, les tables rondes, les rencontres», raconte Csaba Nemes, un peintre reconnu dont les toiles aux couleurs sensuelles sont ouvertement politiques. Nul doute, «ici, il n’y a pas assez de galeries pour le nombre de jeunes et bons artistes», estime Deák Erika, galeriste en vue et collectionneuse, qui regrette cependant le poids omniprésent de la politique. Il y a quelques années, après l’élection du parti d’ultradroite de Viktor Orbán, «tout le pouvoir culturel a été donné à une association très conservatrice, la MMA», expliquent Csaba Nemes et sa compagne, l’artiste Dia Zékány. Deux camps se sont alors installés. D’un côté, les institutions d’État, comme le Musée d’art (Müscarnok), aux mains de la MMA, accueillent des expositions blockbuster internationales. «Mais des expositions avec un niveau médiocre, et complètement déconnectées de la scène locale comme de ce qui se passe dans le reste du monde», se désole Margit Valkó, directrice de la galerie privée Kisterem.

Budapest, l'art de rêver

Scène ultradynamique et innovante

De l’autre côté, petits espaces indépendants et galeries privées forment une scène ultradynamique et innovante. Les galeristes rayonnent localement et à l’étranger. «La galerie ACB, par exemple, travaille presque comme un petit musée, avec un laboratoire de recherche, et en donnant parfois des bourses», explique Csaba Nemes. Les collectionneurs hongrois, peu nombreux, mais hyperactifs, amplifient le mouvement. «J’ai rejoint depuis peu le comité d’acquisition est-européen de la Tate, où nous sommes trois Hongrois. Au centre Pompidou, ils sont quatre», raconte Judit Reszegi, directrice d’une entreprise familiale de produits abrasifs et collectionneuse d’art contemporain depuis sa jeunesse.

Judit et ses pairs permettent aux artistes locaux de se frayer un chemin sur la scène internationale. En ce moment, c’est particulièrement le cas pour les artistes du mouvement Néo avant-garde. Né(e)s dans les années 1930, ils s’appellent Imre Bak, Ilona Keserü, Istvan Nadler, Tamas Jovanovics ou Dóra Maurer et rencontrent aujourd’hui les faveurs des collectionneurs et des historiens de l’art du monde entier. Une rétrospective Dóra Maurer est d’ailleurs visible à la Tate Modern, à Londres.

Une nouvelle galerie par mois

Budapest, l'art de rêver

La Budapest Poster Gallery dispose d’une collection rare de posters reflétant l’histoire du pays, comme cette affiche antifasciste.

À Budapest, il faut véritablement écumer les galeries privées, dont une nouvelle naît chaque mois ou presque. Les plus établies sont, entre autres, Kisterem, Vintage, Trapéz, Knoll, Deák Erika, Viltin ou Glassyard. La ville possède également un solide tissu de lieux indépendants et prescripteurs - le Trafó, la galerie Budapest, l’Art Quarter Budapest, très excentré, où vivent et exposent d’excellents jeunes artistes et commissaires -, les musées Kassák et Kiscelli, et de nombreux espaces plus alternatifs tenus par des collectifs, comme Gólya et Auróra… Et surtout, la visionnaire OFF-Biennále (lire ci-dessous), sans moyens mais forte des propositions les plus innovantes de la scène locale. Restent quelques étapes de choix pour le visiteur épris d’art : les musées Capa et Vasarely, modernes et bien tenus, offrent une vision claire de l’œuvre de ces deux artistes et de leur apport à la culture visuelle hongroise et occidentale.

Le Ludwig Múzeum, avec ses volumes graphiques et monumentaux, propose de bonnes expositions sur la scène est-européenne et une collection permanente éclairante. Même constat à la Galerie nationale hongroise, située dans le château de Buda, où malgré des moyens maigrissimes le directeur Zsolt Petrányi parvient à rassembler un singulier aperçu de ce qui s’est passé ici depuis quelques décennies. Reste que la scène contemporaine, privée d’une collaboration fructueuse avec ces grandes institutions, alterne entre espoir et dépression… «La plupart des artistes et des commissaires travaillent avec leur argent personnel», s’inquiète Katalin Timár, commissaire au Ludwig Múzeum, qui dirige aussi bénévolement des projets dans son temps libre… La vie artistique de Budapest a encore beaucoup à dire.

Préparer son voyage

Le monde d’hier : vous avez adoré Sissi ? C’est le moment de revoir les films. L’histoire romancée de l’impératrice permet néanmoins de réviser le passé de la Hongrie, qui forma avec l’Autriche un empire à deux têtes, siège d’une culture encore visible dans mille détails de la ville.

Réviser les maîtres : on consulte les monographies d’André Kertész, Brassaï, Robert Capa. On peut même s’offrir une escapade à la spectaculaire Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence, tout juste rénovée.

Repérer des adresses : le site Offbeatbudapest, en anglais, trie avec justesse les galeries, hôtels, boutiques et restaurants.

Carnet d’adresses

Budapest, l'art de rêver

Le musée Kassák est consacré au chef de file de l’Avant-garde hongroise, le peintre et écrivain Lajos Kassák.

Brody House. Cofondé par un Anglais et un Suédois, cet hôtel a investi avec goût un vieil immeuble du centre-ville, où les chambres sont décorées façon récup’chic par des artistes à la mode. Les hôtes deviennent de facto membres d’un club, le Brody Land, qui comprend une résidence d’écrivains, des studios qui accueillent régulièrement des célébrités de passage - comme Matt Damon - et un restaurant, le Workshop. brody.land/brody-house

Musée Kassák. Sur une place verdoyante bordée d’adorables immeubles baroques, ce tout petit musée (situé juste derrière le Musée Vasarely), dirigé par la très réputée Edit Sasvári, raconte avec modernité l’histoire de Lajos Kassák, intellectuel, éditeur et artiste engagé, maître à penser de Robert Capa, qui entretint de fructueuses relations avec les mouvements d’avant-garde européens. Des expositions temporaires dialoguent avec l’œuvre de Kassák. kassakmuzeum.hu.

Budapest Poster Gallery. Cette galerie tenue par le sympathique et bien informé Adam Varkonyi expose et vend depuis dix ans des œuvres sur papier : posters vintage, mais aussi maquettes originales de ces posters, dessins, photos, collages, livres anciens… et bientôt de la céramique. On y trouve des trésors. Le MoMA est client. Sur rendez-vous. Prix entre 100 et 50.000 euros. budapestposter.com.

Restaurant Bar Kisüzem. Cet endroit, nature et chaleureux, expose des œuvres d’artistes bien choisis, accueille des concerts et sert à prix doux de bons alcools et de savoureuses assiettes préparées avec des ingrédients locaux dans une cuisine ouverte. On y croise les meilleurs artistes de la ville. Kis Diofa Utca 2., Budapest.

À voir pendant les fêtes de Noël

Code et algorithme, hommage à Vera Molnár : une exposition de groupe célèbre cette artiste française de 95 ans née à Budapest, précurseure de l’art numérique, et dont l’œuvre a dialogué avec celles de François Morellet, Julio le Parc, Victor Vasarely… Musée Vasarely, jusqu’au 19 janvier.

Gorgona 1959-1968 : rétrospective d’un groupe d’avant-garde croate actif de 1959 à 1968. Pour découvrir la diversité des mouvements artistiques de l’ancien bloc communiste. Musée Kassák, jusqu’au 5 janvier.

Géza Perneczky : Mirrors. Le travail de ce photographe conceptuel a mis le feu au poudre du mouvement Néo avant-garde hongrois dans les années 1970. À découvrir en même temps qu’une rétrospective du travail de photojournaliste de Robert Capa opérant une synthèse émouvante d’une grande partie de son œuvre. Musée Capa, respectivement jusqu’au 8 et 31 décembre.

L’univers mystérieux et poétique de la plasticienne Laure Prouvost

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Laure Prouvost

La plasticienne Laure Prouvost fait actuellement l’objet d’une expo-événement au Musée d’Art contemporain d’Anvers (M HKA).

Ses installations, associant film, objets et textes se lisent comme des fables contemporaines... À 40 ans, Laure Prouvost, l’une des artistes les plus inventives de sa génération, représentera la France à la Biennale de Venise 2019.

Blonde piquante, à la silhouette à la fois garçonne et féminine, Laure Prouvost se raconte avec une gouaille rieuse autour d’un thé, dans un matin glacé d’hiver à Anvers. Ce feu follet talentueux joue avec aisance de ses multiples identités : artiste, londonienne pendant presque vingt ans, anversoise aujourd’hui, française toujours. En 2013, elle remporte le Turner Prize, le plus prestigieux des prix britanniques. Sa carrière internationale est lancée. Elle a depuis exposé partout dans le monde. Elle était l’été dernier au Palais de Tokyo, à Paris.

Le M HKA d’Anvers lui consacre en ce moment une grande exposition rétrospective (1). Installée dans la cité flamande, elle a gardé un petit studio à Londres et dit qu’elle se partage entre ces deux villes et une caravane dans le désert croate… On n’est pas obligé de la croire, tant fiction et réalité se confondent dans ses récits échevelés. Ses installations sont des puzzles oniriques et sensuels, pleins d’humour et de liberté, qui parlent de désir, du monde tel qu’il est ou tel qu’il devrait être s’il s’autorisait un pas de côté, d’une nature luxuriante et fantasmée, de sensations et d’incompréhension… Il faut se perdre dans l’univers de Laure Prouvost, se laisser embarquer dans ses histoires à la complexité insolite et réjouissante.

L'œuvre de Laure Prouvost au M HKA d'Anvers

Origines de l’art

Dès son enfance, dans le nord de la France, elle invente des mondes. «Mes parents ont un grand jardin et j’aimais beaucoup bricoler, créer des environnements, des cabanes. Je n’avais pas tellement le droit de regarder la télé, j’étais devenue obsédée par les images qui bougent, je voulais les questionner, les réinventer, les travailler.» Après une scolarité en partie à Tournai, en Belgique, où elle étudie déjà l’art, la voilà partie à 18 ans pour intégrer le Saint Martins College à Londres. Elle y apprend la vidéo expérimentale, qui la passionne. Elle en fait la base de son œuvre, avant de l’enrichir en la déployant dans les médiums traditionnels - dessin, céramique ou tapisserie.

Au commencement était le verbe

Laure Prouvost

Laure Prouvost développe sa pensée à travers un langage artistique personnel. Ces mots et messages reliés à des images, mis en scène dans son atelier avec des créations insolites mais relevant d’une pratique artistique traditionnelle, sont les fragments de la fable qu’elle nous conte.

«Le langage est vraiment le fil rouge de mon travail. J’ai l’impression que les mots m’échappent, je n’arrive pas à les formuler, à les utiliser correctement. Je crois que j’ai fait de l’art parce que j’avais besoin de sortir de ce langage pour un autre, mais depuis j’utilise les mots tout le temps.» Elle les pose, en anglais le plus souvent, dans ses vidéos, où sa voix chuchote, interpelle et suggère, dans les textes de ses installations et les titres-fleuves de ses expositions. Elle leur invente des sens détournés, en souligne l’ambivalence, les (in)compréhensions, leur faculté à créer des images. «Elle maîtrise avec brio cette manière de jouer avec les mots, de les étirer, de les déconstruire avant de les assembler à nouveau et de les réinjecter dans le récit : ils sautillent et tourbillonnent autour de nous, ils nous font un pied de nez et nous échappent», dit d’elle la commissaire Martha Kirszenbaum, à qui elle s’est associée pour le pavillon vénitien. D’une langue à l’autre, elle triture les traductions - «ça devient amusant quand on se perd, qu’on mélange» -, comme dans cette tapisserie qu’elle a éditée pour Venise et qui dit «We will tell you loads of salades on our way to Venice» («Nous vous raconterons un tas de salades sur le chemin de Venise»)…

Conteuse

Car des salades, elle en raconte, tout le temps. «C’est bien que la fiction intervienne dans la réalité, de complexifier. Ne pas avoir une narration donne beaucoup de liberté, la vie devient extraordinaire.» Elle convoque souvent, par exemple, dans son travail ou sans prévenir dans la conversation, ses grands-parents imaginaires : «Mon grand-père est un artiste conceptuel, il faisait des tableaux minimalistes mais, derrière, il faisait des belles femmes avec des belles fesses…» Le même grand-père a décidé un jour de creuser un tunnel entre chez lui, en Angleterre, et l’Afrique, et s’est perdu. Depuis, sa grand-mère l’attend en faisant des tapisseries et en buvant du thé… Ces fragments de récits que l’on retrouve d’une œuvre à l’autre sont aussi un moyen pour elle de toucher nos histoires à tous, de «laisser chacun libre de son interprétation, en prise avec sa propre imagination». Pour Nav Haq, le commissaire de son exposition anversoise, «son travail est profondément philosophique, il nous incite à comprendre que nous sommes un mélange de différentes impulsions, d’intuition et d’une capacité à apprendre. Je l’associe au livre de Simone de Beauvoir Pour une morale de l’ambiguïté, qui présente l’ambiguïté comme un chemin vers la liberté». Martha Kirszenbaum y voit un lien avec l’Oulipo ou Les Fleurs bleues, de Raymond Queneau… Pour entrer dans son atelier à Anvers, comme dans son exposition au M HKA, il faut se faufiler sous une porte basse et étroite. À Venise, elle entend détourner l’accès au pavillon, «le public devra passer par des petits trous, il faudra chercher» : comme le préambule d’une fable.

Féminité

Laure Prouvost

Disposés sur un mur recouvert de branchages, des messages rappelant des textos, accolés à des objets, des écrans diffusant des vidéos... Dans le travail de Laure Prouvost se mêlent les éléments naturels, les faits, la fiction et la technologie moderne.

Ses œuvres débordent de seins, de fesses, d’odes aux sens et au corps. Elle entretient pourtant un rapport ambigu avec la notion de féminité. «Je me suis toujours considérée comme une artiste, pas une artiste femme. Je suis une éponge qui réagit aux situations. Mon travail est une relation entre mon cerveau, mon corps et le monde : je suis une femme, donc je viens avec ça. La naissance de mes enfants (une fille de 5 ans et un garçon de 3 ans, NDLR) aeu un impact aussi, évidemment. Je me rends compte néanmoins que dans la société d’aujourd’hui, c’est important de l’affirmer : il y a un enjeu, et puis il y a une nouvelle histoire de la femme qui commence en ce moment, c’est génial.»

Sérénissime

Ce n’est que la troisième fois, justement, qu’une femme représente la France à la Biennale de Venise - après Annette Messager en 2005 (Lion d’or) et Sophie Calle en 2007 - et le premier duo féminin, jeune de surcroît (Martha Kirszenbaum est née en 1983). Laure Prouvost y voit «un immense honneur et une grande responsabilité. Pour moi, c’est aussi un beau retour aux sources, assez émotionnel». Pour imaginer son pavillon, elle est partie de l’idée d’une pieuvre, qui a son cerveau dans ses tentacules, comme métaphore des origines de notre planète et de notre système nerveux. En son centre, un film aborde les notions de génération et d’identité, de langage, de fluidité et de liquidité, d’un monde d’échanges et de décalage. Pour le tourner, Martha Kirszenbaum et elle sont parties en voyage : du Roubaix familial à Venise, en passant par les tours Nuages d’Émile Aillaud à Nanterre, le Palais idéal du Facteur Cheval dans la Drôme, et à Marseille. Elles ont invité une douzaine de personnages talentueux - magicien, flûtiste, rappeur, instituteur à la retraite… - et jonglé avec plusieurs langues : français, anglais, arabe, italien, néerlandais… «C’est un road trip plus mental que réel, souligne Laure Prouvost. Qui est-on ? Où en est-on ? Je ne donne pas de réponses, ce n’est pas le rôle de l’artiste : il s’agira de sentir, comme la pieuvre.» Autour du film se déploiera une installation, encore un peu mystérieuse, qui masquera et transformera le pavillon, convoquera notamment le verre, cette liquidité durcie, travaillé avec les artisans de Murano. Et comme sa grand-mère a promis d’y faire une apparition en hélicoptère, dont elle descendra nue en se balançant suspendue à un fil, l’expérience promet d’être inoubliable… Laure Prouvost représentera la France à la 58e édition de la Biennale de Venise et y présentera son exposition Deep see blue surrounding you / Vois ce bleu profond te fondre, du 11 mai au 24 novembre, au Pavillon français. pavillonfrancais.com, labiennale.org.

(1) AM-BIG-YOU-US LEGSICON, jusqu’au 19 mai, au M HKA, à Anvers. muhka.be.

Escale au château La Coste, domaine viticole et musée à ciel ouvert

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Escapade au Château La Coste

Dans le domaine, l’époustouflant kiosque de musique, dessiné par l’architecte Frank Gehry, fait face à un amphithéâtre de verdure.

Dans ce domaine viticole de Provence cultivé en biodynamie, les plus grands artistes contemporains ont carte blanche. On y trouve aussi un potager et une table remarquable, celle du chef argentin Francis Mallmann, magicien de la cuisson au feu de bois. Une escale hédoniste unique !

Comme un galet intergalactique, la sculpture ovoïde de Tom Shannon scintille sous les premiers rayons de soleil qui, au loin, redessinent la ligne de crête du Luberon. Il est 8 heures, Château La Coste s’éveille. Promesse d’une journée torride, ils viennent sécher les dernières larmes de rosée perlant à la nervure des feuilles. Celles des vignes, ondoyant à perte de vue, de ce lieu grand cru, devenu un incontournable des escales en terre provençale, où art, architecture, vin et gastronomie font part égales.

À voir sans modération

Escapade au Château La Coste

En version grand bleu pour la piscine, où l’eau et le ciel se fondent dans une parfaite harmonie.

À 15 km d’Aix-en-Provence, Château La Coste est un ovni, objet viticole notoirement identifié. Non seulement on y vendange grenache, syrah, cinsault… mais aussi les plus grands noms de l’art contemporain. Dès l’entrée, une araignée en bronze de Louise Bourgeois se dresse sur un miroir d’eau et tisse le fil d’un incroyable parcours. On s’y égare, deux heures durant, sur des sentiers initiatiques où sculptures monumentales, gestes architecturales, potager dessiné par Louis Benech et chai conçu par Jean Nouvel, sont les totems d’un art de vivre où nature et culture ne font plus qu’un. Le vibrato des cigales se mêle à celui des concerts donnés au kiosque à musique signé Frank Gehry. On assiste à une conférence au centre d’art imaginé par Tadao Ando, on déambule dans la galerie Jean-Michel Wilmotte ou au pavillon de la photographie, creusé dans la terre par Renzo Piano. La nuit tombée, on se laisse guider par le chemin de planches et de fleurs-lucioles de Tatsuo Miyajima pour se faire une toile à la belle étoile…

En tout, ce sont plus de 30 œuvres majeures, toutes dédicacées au domaine vinicole, qui font la gloire de ses 200 hectares de pins centenaires, de garrigue, d’oliviers, de vignes et de chênes truffiers. À l’origine de ce projet un peu fou, Patrick McKillen, dit Paddy, un Irlandais aussi aisé que discret. De lui, on ne sait pas grand-chose. Si ce n’est qu’il est fan de U2, qu’il a fait fortune dans l’immobilier hôtelier et qu’il est tombé amoureux de ce coin de Provence dont il a fait l’épicentre de sa passion arty-vinicole.

L’épreuve du feu

Si au départ, on venait au Château La Coste pour déguster ses vins et se repaître de ses œuvres, aujourd’hui l’extension de l’hédonisme y est totale. Avec le chef-star argentin, Francis Mallmann, grand maître du feu, on s’enflamme pour une cuisine qui redécouvre l’art originel du cuit et met l’appétit sur des braises. Four à bois et dôme de feu, carré de porc de Provence, entrecôte de blonde de Galice, chou fumé caramélisé, oranges rôties et betteraves, prennent des saveurs inédites. Sous ses apparences simples, cette cuisine renoue avec des siècles d’expérience, et joue avec le feu en un festin joyeux. Béret noir, foulard et veste rouge, le maestro du brasero raconte : «Enfant, j’ai grandi en Patagonie, dans une maison qui vivait au rythme des flammes. C’est une langue culinaire très primitive, universelle, qui parle instinctivement à tout le monde.»

Escapade au Château La Coste

Retraite d’esthètes

Escapade au Château La Coste

Comme un hommage à l’intense lumière méditerranéenne, les panneaux d’Une Pause colorée, de Daniel Buren, jouent avec elle tout au long des journées d’été.

On peut également passer la nuit dans ce musée à ciel ouvert. Vingt-huit villas ont pris pied au cœur du domaine. Bois clairs, marbres et pierres brutes, verrières d’atelier, lin blanc, ces suites dans les vignes jouent de l’ombre et de la lumière, unissant le bleu du ciel à celui de la piscine privée pour dix d’entre elles. Et, là encore, le mobilier est signé par le gotha des designers. Dans le salon, la bibliothèque, le restaurant de la villa principale : table de Jean Nouvel, luminaires Serge Mouille, bureau Jean Prouvé, buffet Maurizio Cattelan… Quant au somptueux spa qui lui fait cohorte, il est l’œuvre du Hongkongais André Fu.

Dans ce lieu inscrit à la Gold List du magazine Condé Nast Traveler et sacré l’an dernier Meilleur hôtel par le voyagiste britannique Mr & Mrs Smith, on vient pour l’art, la table, le vin ou pour une retraite slow life. L’araignée de Louise Bourgeois ne symboliserait-elle pas dès lors l’infini ? Dans la mythologie chamanique, cet arachnide redouté prend en effet une tout autre dimension. L’art de tisser sa toile est lié au passage du temps et à la création, et ses fils de soie sont les guides du retour au divin. Bienvenue au Château La Coste.

À Bucarest, un élan euphorique de l'art attire un marché à l’affût

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Palais du parlement, Bucarest

Le Palais du Parlement abrite dans l’une de ses ailes le Musée national d’art contemporain.

Reportage. - Palais réinvestis, usines transformées, hangars détournés… Avec ses airs d’ex-Berlin-est, la capitale roumaine cherche sa voie dans un style archichaotique. À l’ombre d’un détonnant Musée d’art récent, pôles de contre-culture et galeries chics se multiplient.

Et si Bucarest était le nouveau Berlin ? Sa scène artistique est en effervescence, la ville regorge d’usines désaffectées, de lofts, d’ateliers, de villas somptueuses mais décrépites à investir. Une trépidante vie underground fait pulser ses nuits, les terrasses de restaurants attirent des foules de jeunes, le street art corrode ses murs… Bucarest est en ébullition. Installé dans le très chic et cosy restaurant Simbio, au sein de l’ancien quartier juif devenu un hub de galeries d’art, Andrei Ţărnea, le commissaire roumain de la saison France-Roumanie (qui vient de s’achever), le confirme. « Bucarest et Berlin ont tissé des liens au fil de l’histoire. Ce sont deux villes récentes, sans collines et peuplées de fonctionnaires venus d’un peu partout. Deux villes dont les élites ont fui pour échapper à la dictature, nazie ou communiste. Aujourd’hui, Bucarest cherche sa voie comme l’ex-partie socialiste de Berlin. Bref, entre ces deux villes le courant passe. » Pour preuve, vols low cost aidant, chaque mois des artistes font maintenant l’aller et retour, et nombre de ceux qui s’étaient installés à Berlin rentrent au pays. Dans cette ville où l’on peut encore se loger pour 250 à 400 € par mois en plein centre, d’anciennes usines se transforment en ruches productives, voir en phalanstères. Dans les quartiers sud, l’espace NOD (situé Splaiul Unirii 160) regroupe créateurs et entreprises, et le couple d’artistes a installé son atelier dans une ancienne usine de recherche en électricité (l’ICPE, Splaiul Unirii 313). « Pas facile de créer des collectifs, dit Răzvan, car les propriétaires se méfient des artistes, réputés mauvais payeurs. » Le (bulevardul Carol I 53) a, lui, tous les attributs de la contre-culture berlinoise : grande baraque en éternels travaux de rénovation, cour encombrée de planches et de carcasses de motos, dédale d’ateliers de sculpteurs et de plasticiens. À l’extérieur, un petit aquarium fait office de galerie d’exposition. « La plus petite de Bucarest ! », se vante le peintre Daniel Loagar.

L’impulsion de la ville de Cluj

Linea/closer to the moon, Bucarest

Linea / Closer To The Moon, un roof top où l’on peut dîner par tous les temps.

Non loin de là, à deux pas du Simbio, les lieux arty chics bourgeonnent. Les belles maisons de style néoroumain, abandonnées parfois depuis des décennies, n’attendent que des entrepreneurs décidés. La galerie (strada Mântuleasa 22) vient d’ouvrir. Suzana Vasilescu, sa fondatrice, y présente justement les travaux de deux artistes allemandes. Un peu plus loin, voici la magnifique Gæp et, tout à côté, la galerie Anca Poteraşu, toutes deux installées dans d’anciennes demeures préservées de la démolition. En plein centre-ville, impossible de rater le Palatul Universul (strada Ion Brezoianu 23-25), immeuble industriel qui regroupe start-up, ateliers, cafés et une salle de spectacle réputée : l’Apollo 111. Magda Radu, qui fut commissaire du pavillon roumain de la Biennale de Venise en 2017, y anime la galerie d’art conceptuel Salonul de Proiecte. Confiante dans l’avenir, elle ne sombre pas dans l’euphorie : « Le marché existe, mais il est étroit. La Roumanie est un grand pays… régional. »

Au nord de la ville, le Combinatul Fondului Plastic (strada Băiculeşti 29), ensemble d’ateliers de production créé dans les années 1950, accueillait hier les artistes officiels. Depuis, des galeries s’installent sur ce terrain au nom délicatement rétro. Andreea Stănculeanu dirige , un vaste cube aux cimaises blanches qui ne dépareillerait pas à Manhattan ou à Berlin. « Nous sommes en train de bâtir un marché de l’art, raconte-t-elle. L’impulsion est venue de la ville de Cluj, avec la première galerie nommée Plan B. Ce fut une idée géniale que de parler d’une “école de Cluj”. En vérité, ces artistes apparus il y a une quinzaine d’années dans cette ville, bien que tous figuratifs, récupérant les codes du réalisme socialiste pour les détourner, étaient tous assez différents les uns des autres, mais l’expression “école” a frappé les esprits. Maintenant, c’est au tour de Bucarest. Mais avant d’être le nouveau Berlin, il nous faut réussir à être Bucarest. » Un peu plus loin se tient la galerie Sandwich. À l’origine, juste un espace coincé entre deux hangars de tôle rouillée. Alexandru Niculescu en est le cofondateur. « Nous allons organiser une exposition en forme de garage sale, de vente d’œuvres sur le trottoir. Ici tout est possible, car les Roumains adorent la nouveauté. » Dans ce maelström d’initiatives volatiles, le (Muzeul de Artă Recentă) fait figure d’exception. Première institution privée de Roumanie, c’est le musée qui fâche. Financé par un magnat de l’industrie pharmaceutique, ce vaisseau de briques noires a été édifié par l’architecte Youssef Tohmé. Ce dernier a conservé la structure de la résidence d’une ex-ministre communiste pour la poser sur un rez-de-chaussée vitré. Dédié à l’art roumain, le MARe fait de l’ombre aux galeries comme aux musées d’État empoussiérés. Son nom est en soi une déclaration de guerre, car il signifie tout à la fois « mer » et… « grand ». Une mégalomanie qui en irrite beaucoup. D’où vient l’argent ? Les œuvres sont-elles authentiques ? Ses détracteurs n’y vont pas de main morte. Reste que le musée est superbe et sa visite indispensable (bulevardul Primăverii 15).

De grands collectionneurs roumains

Le MARe, Bucarest

Le MARe, Musée d’art récent, est la première institution privée du pays.

S’impose aussi la visite du le Musée national d’art contemporain. Situé dans une partie du gigantesque Palais du Parlement édifié par Ceauşescu, il compte plus de 10.000 œuvres. « L’emplacement du musée est catastrophique, reconnaît son directeur, Călin Dan, en poste depuis cinq ans. Mais le public est au rendez-vous. Moins que la symbolique du Palais, ce qui nous gêne, c’est l’état déplorable de sa construction. Chauffage défaillant, plomberie saugrenue… » Si Călin Dan veut croire à l’émergence de la capitale roumaine sur la scène artistique européenne, il en connaît les points faibles. « Il nous manque un lieu dédié à l’art, porté par l’institution publique. » Comme manquent une presse d’art de qualité et des incitations fiscales. « En dix ans, résume Andrei Breahnă, le propriétaire de la galerie Gæp, j’ai vu passer une quinzaine de ministres de la Culture. L’actuel est un spécialiste ès mathématiques ! » Il est clair que la Roumanie n’a pas encore pris le virage du soft power. Pourtant, Jean-Jacques Garnier, le commissaire français de la saison France-Roumanie, est positif. « Le marché de l’art est certes frémissant, mais la Roumanie compte déjà quelques grands collectionneurs, comme Ovidiu Şandor, qui dirige la autre ville dynamique. Quelques artistes font déjà parler d’eux sur la scène internationale, comme Ciprian Mureşan ou Adrian Ghenie, dont une œuvre s’est récemment vendue plus d’un million de dollars aux États-Unis. Du coup, les regards se tournent vers Bucarest pour y dénicher des pépites. Les marchands sont à l’affût des talents… et des coups à faire, car l’art est un business, et Bucarest est entré dans la danse. »

Le charme de l’authentique

Combinatul Fondului Plastic, Bucarest

Le site du Combinatul Fondului Plastic se mue en zone artistique hype.

Paradoxalement, l’un des charmes de cette capitale, c’est que rien n’y est encore formaté, mondialisé. Inutile d’y chercher ce que l’on trouve dans toutes les rues piétonnes de la planète. Bucarest est encore authentique. Ainsi, avec ses 450 bâtiments de style moderniste, c’est une manne architecturale. Son chaos urbain est magnifique. La moindre promenade y est une exploration. Les villas néoroumaines avec colonnes épaisses, frises et balcons sont à touche-touche avec les angles droits des fanas du Bauhaus.« Si Prague et Budapest, avec leur style propre, sont des symphonies de Beethoven ou de Mozart, Bucarest, c’est du free-jazz », dit Silviu Dancu, le chargé de la communication du MARe. Et pour cause, le jazz comme la techno ont élu domicile à Bucarest. Les clubs, tels l’Apollo 111 ou le Control, swinguent en permanence. Bucarest a même créé son style, la minimal techno roumaine, qui envahit la planète. Le DJ Rhadoo en est le chef de file. « Certes, admet David Maguet, le propriétaire des restaurants M60 qui aimantent les jeunes, à l’extérieur l’image de Bucarest n’est pas super, mais en réalité la ville est tellement séduisante que ceux qui la découvrent y reviennent. » Alors feu d’artifice ou pétard mouillé ? Nous le saurons dans quelques années. Pour l’heure, cette ville prend son envol. Les esprits s’échauffent, se prennent à rêver avant de retrouver un peu de sérénité. En résumé, comme le dit la galeriste Anca Poteraşu : « Bucarest est assurément la nouvelle destination cool en Europe. »

Andrei Breahna, galeriste de retour aux sources

Andrei Breahna, Bucarest

Andrei Breahna: «L’absence de structures permet encore à n’importe qui de progresser vite.»

Gæp, sa galerie, est une splendeur. Ancienne maison bâtie en 1898, elle est restée dans son « jus ». Après des années passées à Paris, Andrei Breahna a décidé de rentrer à Bucarest en 2013. En 2014, il ouvre sa première galerie pour y exposer des artistes d’Europe de l’Est. Désormais, il croit à l’émergence d’un marché de l’art performant. « À défaut de vision, d’institutions, cette ville a pour elle sa désorganisation. L’absence de structures permet encore à n’importe qui de progresser vite. Il y a des artistes à découvrir partout. Ils ne sont pas encore en galerie, à nous de les dénicher, de les exposer. La classe moyenne roumaine a désormais des appartements, des voitures, elle voyage. Il ne lui manque que l’art contemporain pour se mettre au niveau européen. Nous allons lui en fournir. Et, ensuite, nous exporterons la culture roumaine. »

Gæp, strada Plantelor 50. gaepgallery.com

Ioana Sisea, l’artiste bien dans sa bulle

« À l’époque communiste, dit-elle, toutes les grands-mères de Roumanie étaient chargées de fabriquer le savon de la famille. » Pour ne pas perdre ce savoir-faire, Ioana Sisea, la trentaine échevelée, s’est mise au travail. Avec les 400 kilos de savon fabriqués par ses soins, elle a reproduit son lit et attend depuis qu’il fonde… Fondue, cette artiste pétillante se rêve en « actionniste ». Elle a ainsi exposé, dans la vitrine d’un bar du quartier piéton du centre-ville, la vidéo d’une de ses performances où, en robe noire et stilettos, elle lèche consciencieusement une Rolls-Royce durant vingt-cinq minutes. Scandale !

ioanasisea.com

Anca Poterasu, galeriste internationale

Anca Poterasu, Bucarest

Anca Poterasu: «J’aime sentir que je suis le futur».

« J’ai ouvert ma première galerie dans mon appartement de 20 mètres carrés. » Aujourd’hui, la galeriste investit une magnifique maison édifiée au XIXe siècle. « Avec ces 90 mètres carrés, je veux attirer les artistes étrangers à Bucarest, que j’adore. Ils seront ici en résidence. » Présente aux foires de Bâle, de Madrid, de Barcelone, elle possède une autre galerie à Leipzig, en Allemagne. Spécialiste de la photographie, elle reconnaît que le marché est encore hésitant, mais qu’une énergie débordante permet les plus grands espoirs. « J’aime sentir que je suis le futur. »

Strada Popa Soare 26. ancapoterasu.com

Carnet de route

Avant de partir, passage obligé par le livre Dracula et autres écrits vampiriques ,récent et mordant volume de la Pléiade (chez Gallimard). L’ouvrage comporte une rareté, Le Sang du vampire, de Florence Marryat.

Control : café, salle de concerts, restaurant…, le lieu cumule les bonnes raisons d’être fréquenté. Strada Constantin Mille 4. control-club.ro

Apollo 111 : café, théâtre, salle de concerts et restaurant. Situé dans le Palatul Universul, strada Ion Brezoianu 23 - 25. apollo111.ro

Linea / Closer To The Moon : un roof top bardé d’igloos pour un dîner en plein ciel, et un restaurant intérieur. Strada Lipscani 17.

Simbio : café-restaurant chic et cosy. Brunch idéal. Strada Negustori 26. simbio.ro

Casa M60 : tenu par un Français, le dernier-né de M60, un restaurant original avec terrasse. Strada Domnita Ruxandra 7.

RembrandT Hotel : un peu bruyant le week-end en raison des bars branchés, mais très bien situé. Strada Smârdan 11. rembrandt.ro

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Visite guidée dans l'atelier de Claire Morgan, l’artiste qui fait mouche

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Claire Morgan, l'artiste fait mouche

L’atelier de Claire Morgan : juxtaposition de pièces chaleureuses aux murs colorés et d’espaces réservés à l’activité artistique et à la naturalisation de petits animaux.

Peintre, dessinatrice, sculptrice, taxidermiste…, la plasticienne irlandaise, qui expose en France tout l’été, est une espèce rare sur la planète Arty. Elle nous a reçus dans sa belle maison-musée, près de Newcastle. Comme une réponse à l’impermanence des choses, le temps, chez Claire Morgan, suspend son vol.

Gateshead, banlieue de Newcastle, ville néoclassique de l’Angleterre du Nord-Est. La maison en briques de Claire Morgan a le soleil sur la façade. L’artiste nous ouvre : cheveux blancs avec un dégradé de bleu sur les pointes, jupe et chemisier aux imprimés mixés, chaussures léopard… L’excentricité d’une Vivienne Westwood mâtinée de l’humour d’un Paul Smith. Visite guidée de sa maison typiquement anglaise avec murs de couleur, esprit bohème et trouvailles de brocante. L’oiseau sert de fil conducteur, sous forme de faisan et de geai naturalisés, de motif de papier peint assorti à la parure du lit, de reproduction de gravures d’Audubon ou de nids exposés dans une bonbonnière XIXe… Sans compter l’essentiel, la place de l’oiseau dans son œuvre de plasticienne. En vrac, il y a des corneilles, des étourneaux, des chouettes, des paons, des canaris… Tous empaillés.

Claire Morgan, l'artiste qui fait mouche

Une passion animale

«Les canaris de l’Installation Beacon sont une espèce sentinelle. L’exemple classique est le recours aux canaris dans les mines de charbon pour détecter la présence de monoxyde de carbone», prévient-elle dans le catalogue de son exposition Perpetually at the Centre,à la galerie Karsten Greve à Paris, en 2017. C’est dire l’importance des questions sociétales et environnementales dans son travail - naufrage des migrants en Méditerranée ou réchauffement climatique de la planète… Son travail ? Il y en a un parfait exemple dans la cage d’escalier bleu glacier. Soit une sphère en suspension, faite de petits confettis en plastique espacés sur du fil nylon, avec, à l’extrémité, une souris plus vraie que nature, prête à plonger dans le vide. Tous ces éléments font partie intégrante de son vocabulaire de plasticienne : la rigueur minimaliste de la composition, le polythène comme symbole de la société de consommation, la chute, ou le mythe d’Icare revisité, les animaux métaphores de nous autres, frères humains, la beauté diaphane de l’installation, la gravité du sujet, une espèce de vanité évoquant le temps qui passe, la fragilité des choses, l’absence, le deuil, la mort.

La nature est partout

Claire Morgan, l'artiste fait mouche

Mouches enfilées sur des fils de nylon, geai empaillé, photo et dessin de renard… : la nature présente dans l’atelier révèle l’ambivalence des productions de Claire Morgan, entre le vrai et l’artificiel, le naturel et le fabriqué, le fixe et le mouvant, l’homme et l’animal.

Claire Morgan a ceci de spécifique qui la distingue des autres artistes, comme Maurizio Cattelan, qui utilisent des animaux naturalisés : elle pratique la taxidermie elle-même. Un art qu’elle a appris en suivant des stages dans le Yorkshire, à Copenhague et ensuite sur le tas. «Voulez-vous voir mon congélateur,» lance-t-elle tout à trac, comme si elle proposait d’admirer son jardin. On acquiesce. Il faut traverser l’atelier éclairé par de grandes fenêtres au nord. Partout, des oiseaux et des renards dessinés au fusain, à la gouache ou avec des résidus de taxidermie… On remarque alors que son foulard en soie vert est parsemé de renards à la fourrure rousse. À l’office, Claire ouvre le congélateur : bien rangés dans des sacs plastiques, des écureuils, des mulots, des volatiles… Petite précision, mais de taille : l’artiste ne tue jamais les animaux, elle les utilise morts de leur propre mort, accidentés de la route, d’une baie vitrée ou autre. Dans les pièces attenantes travaillent ses deux assistants. Ils enfilent des mouches sur des fils en vue de futures installations. Là aussi, côté insectes, elle a ses filières. Avant, elle élevait les mouches elle-même, époque révolue, aujourd’hui elle les achète chez des fournisseurs d’articles de pêche… Chez elle, la nature est partout, petite famille de lapins naturalisés ou boîtes à papillons sur une étagère de bibliothèque, plafonnier imaginé à l’aide de branches de monnaie-du-pape aux feuilles translucides… On ne s’étonnera pas de son exposition au Musée de la chasse et de la nature, en 2015, ou de celle, chez Deyrolle, à Paris, achevée l’an dernier. Leurs univers sont les mêmes. Mais Claire ne s’en tient pas au cabinet de curiosités, elle aime le vivant. En témoignent ses cinq chats, Clarkie, Glessen, Ned, Pumpkin et Grace Jones, alignés en rang d’oignons sur des chaises ou jouant avec les rais de lumière dans la cuisine.

Panser les plaies

Claire Morgan, l'artiste fait mouche

Claire Morgan réalise son art de taxidermiste au-dessus de feuilles de papier, qui recueillent les résidus et les fluides de l’opération. Sang et os sont ainsi partie prenante d’un travail graphique où le gestuel voisine la plus grande minutie.

Claire Morgan est née en 1980 à Belfast. Son père est professeur de mathématiques, sa mère, qu’elle a perdue très tôt, infirmière. Sa pratique semble être à la croisée de l’héritage familial, des structures géométriques, presque pixélisées, avec des fragments de plastique qui ressemblent à des pétales de fleurs de cerisier, des grains de charbon ou des pissenlits… Et puis cette façon de donner une seconde vie aux animaux, de panser les plaies. Avec aussi une expérience fondatrice du deuil qu’elle n’évoque pas, préférant dire : «Mes parents catholiques adoraient parler de la mort.» Dès ses études aux Beaux-Arts de Northumbria, alors qu’elle aime les forêts tropicales du Douanier Rousseau, elle s’intéresse aux éléments organiques. Ses influences, elle ne les emprunte pas au monde de l’art, mais plutôt à celui de la littérature (William S. Burroughs, David Foster Wallace, Yuval Noah Harari…) ou de la musique (Björk, Jon Hopkins, Aphex Twin…).

Apprivoiser la mort

«Mon travail porte sur le temps qui passe, la métamorphose, les choses qui me font peur, comme la mort. Être créateur, c’est vouloir contrôler les choses…», glisse-t-elle devant un thé et des cookies, avant de parler de son actualité. Lauréate de la dernière édition du prix de dessin de la Fondation d’art contemporain Daniel & Florence Guerlain, on la retrouve dans des expositions collectives - Bêtes de scène (1), à la Villa Datris, à L’Isle-sur-la-Sorgue, et Biennales épHémères (2), au château de Monbazillac - ainsi qu’à Londres, au Musée Horniman (3), un bâtiment de style Arts & Crafts qui présente des collections d’anthropologie et d’histoire naturelle. Collections que Claire Morgan fait dialoguer avec des dessins de sang et d’os, des vitrines abritant des animaux naturalisés accompagnés de cônes en plastique noir. «Il y aura un renard, un écureuil, un corbeau et une perruche… J’essaie de connecter le monde à part du musée et celui de la vraie vie et de la réalité de la ville. Ainsi, les animaux sont ceux que nous trouvons aux abords de Londres, le renard étant sur la crête, à la fois proche de nous et rétif à toute domestication. Quant au plastique, il est issu des sacs-poubelle de la rue.» Claire Morgan, ou une certaine poétique de la violence.

(1) Jusqu’au 3 novembre, à la Villa Datris, à L’Isle-sur-la-Sorgue. fondationvilladatris.fr
(2) Jusqu’au 30 septembre, au Château de Monbazillac, à Monbazillac. lesrivesdelart.com/biennales-ephemeres.
(3) As I Live and Breathe, jusqu’au 4 mai 2020, au Musée Horniman, à Londres. horniman.ac.uk.


New York ouvre grand ses portes aux designers français

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La "French Touch" à New York

Console Ledge de Simon Johns présentée à Wanted Design. Intérieur de la Carpenters Workshop Gallery.

Galeries, architectes d’intérieur et designers français ont compris le potentiel de la métropole américaine où les clients apprécient le style tricolore.

Chacun pourrait se dire que ce n’est pas si nouveau. New York est un hub créatif depuis toujours et influence le monde entier. Pourtant, en termes de design, la ville n’était pas à la hauteur. Mis à part les salons Tefaf et l’ICFF, surtout spécialisés dans le design d’art de très haut vol, l’offre n’était pas au rendez-vous.

C’est le constat qu’ont fait Odile Hainaut et Claire Pijoulat, deux Françaises travaillant respectivement dans le brand management et chez Roche Bobois sur le territoire américain. Il n’a pas fallu longtemps pour que ces deux jeunes femmes entreprennent de grands projets et changent le cours des choses. « Nous nous étions rencontrés par hasard, nous avions discuté pendant trois heures, nous étions tellement sur la même longueur d’onde que nous avons commencé l’aventure peu de temps après. » En effet, elles lançaient quelques mois plus tard Wanted Design. L’idée ? Créer un événement à la fois culturel, pédagogique et commercial pour mettre en avant la créativité française. Avec le soutien de l’ambassade de France, elles offrent deux éditions, l’une à Manhattan depuis neuf ans, l’autre à Brooklyn depuis six ans. « Dès la première année, cela a été un vrai succès, nous avons eu 30 exposants. »

Des collaborations avec des designers français

Lit Tapis Volant, Maria Pergay

Lit Tapis Volant, Maria Pergay, galerie Demisch Danant.

Aujourd’hui, elles comptent parmi leurs invités des designers de renoms comme Matali Crasset, François Azambourg ou encore Philippe Nigro. Si le deuxième programme leur tenait aussi beaucoup à cœur c’est qu’il est différent dans la forme. « À Brooklyn, nous voulons développer des projets plus culturels, plus pédagogiques, c’est un véritable campus. » Grâce à des partenariats noués avec de nombreuses écoles, comme l’école Boule et Strate, en France, ou l’université de Shanghaï, elles renforcent les échanges avec le monde entier. Puis elles mettent en place un projet, aujourd’hui emblématique de leur démarche : le « Transatlantic Creative Exchange », soit des collaborations entre des studios ou des ateliers américains et des designers français. « Ils travaillent ensemble sur un projet exposé ensuite durant notre événement. Ils ont carte blanche. Souvent ces rencontres se prolongent, les artistes sont boostés et développent une meilleure connaissance des deux pays. »

Elyse Graham, une des participantes de cette année, garde un très bon souvenir de son expérience avec le CIAV : « J’ai traduit le processus expérimental que j’utilise pour modeler la résine avec les techniques de fabrication du verre. J’ai pu jouer avec la transparence et la lumière, ce que je n’avais jamais réussi à faire auparavant. » Preuve de leur succès, les deux jeunes femmes sont promues, en 2017, chevaliers dans l’ordre des Arts et des Lettres pour avoir développé le design entre la France et les États-Unis. « Nous sommes les ambassadrices de ces nouveaux créateurs. » Un positionnement parfait pour présenter, ce mois de septembre à Paris, au salon Maison & Objet, six jeunes américains issus de leur programme pour la catégorie « Rising Talent Awards ».

À la recherche de perles rares

Pieds de Bouc, Marc Bankowsky

Pieds de Bouc, Marc Bankowsky, Maison Gérard.

Du côté des créatifs, Valérie Pasquiou, elle, a connu le véritable rêve américain. Après avoir quitté le Pays basque à la suite d’un pari d’adolescente, elle débarque par hasard à Los Angeles. « J’ai pointé le doigt sur un atlas, j’ai relevé le défi et maintenant cela fait trente ans que je suis sur le continent américain !» À ce moment, tout s’accélère, elle commence à créer des décors pour l’industrie du cinéma, enchaîne les opportunités qui s’offrent à elle jusqu’au jour où elle décide de monter son agence d’architecture d’intérieur dans la ville de ses rêves, New York. Aujourd’hui elle aménage des appartements privés comme des bureaux pour L’Oréal. Elle y apporte la French touch et s’adapte à un marché différent. « Les intérieurs à l’américaine sont très stériles, presque comme une couverture de magazine. J’y mets de la chaleur et surtout je raconte des histoires. Ici c’est un autre monde, il leur faut des meubles de rangement partout, tout doit être grand, ils sont moins dans le détail. Mais j’aime leur façon de travailler, il y a un vrai sens du réseau, des collaborations, tout va très vite. »

Les galeries françaises s’adaptent, elles aussi, à ce marché pour étendre leurs champs des possibles. « Quand on réussit aux États-Unis, on a un avocat, un psy et un décorateur », s’exclame Benoist Drut, un des deux partenaires de la Maison Gérard. Ce grand passionné est un sacré numéro. Il le dit lui-même : « J’aime semer la zizanie !» Depuis toujours, l’homme est fasciné par les antiquités. «À 6 ans, je faisais déjà les brocantes avec mes parents et je collectionnais un peu de tout. » Les études ne sont pas son fort, après un deug de droit, il part sur un coup de tête à New York. À peine arrivé sur le territoire, il commence à travailler aux côtés de créatifs. Le garçon doit rester six ans aux États-Unis pour obtenir son visa. Prisonnier de l’Amérique, il en profite pour voir les bons côtés de cette folle aventure. Très vite, il étend son réseau et rencontre Gerardus Widdershoven de la Maison Gérard. « Il avait vu en moi le gamin qu’il était vingt ans plus tôt, et m’a pris sous son aile. »
Widdershoven l’emploie quelque temps puis lui propose une association « à parts égales ». Si, à l’époque, la galerie est spécialisée dans l’Art déco, contrairement à la mode de l’Art nouveau, Benoist Drut va doucement bousculer les habitudes en proposant des pièces de design contemporain. « Lors d’un passage en France, j’ai découvert le travail d’Hervé van der Straeten. J’étais convaincu qu’il fallait l’inclure dans nos collections. C’est ainsi que nous nous sommes intéressés à du mobilier plus moderne. » S’écrit alors le second chapitre de la Maison Gérard. La clientèle américaine est d’abord sur-prise. Mais le jeune homme n’en fait qu’à sa tête. Aujourd’hui, pari sur le temps réussi, 75 % de ses ventes sont constituées de mobilier contemporain. Si, il y a encore quelques années, il n’aurait jamais osé choisir certains designers, aujourd’hui il élargit sa collection avec des pièces toujours plus surprenantes. Des créateurs comme Garnier & Linker, ces jeunes étoiles montantes du design, sont même de la partie. Les Américains en raffolent.

Cédric Morisset, directeur de la très internationale Carpenters Workshop Gallery, ne dira pas le contraire. « Les États-Unis représentent pour nous 40 % des ventes. New York est une porte d’entrée, un cheval de Troie. » Il était donc essentiel pour cette galerie, présente déjà à Londres et Paris, de trouver sa place sur ce marché. Ici, l’équipe en profite pour être sur tous les salons et renforcer son programme culturel en créant des collaborations avec les musées et les grandes écoles américaines, comme Cranbrook, à Detroit. « Je crois vraiment à un retour de ces institutions de renom dans quelques années. » En attendant, il continue de chercher les perles rares du design. Sa dernière en date ? Steven Haulenbeek. À Chicago, le designer expérimente la matière et moule le bronze dans le froid glacial de la ville. Un résultat étonnant, très organique.

Du côté du marché du vintage, Hugues Magen, ancien danseur à Paris, a, quant à lui, voulu montrer, dans sa galerie près de Greenwich Village, le design d’après-guerre, avec les grands noms et les oubliés. « Ici, les clients savent qu’ils trouveront des classiques mais découvriront aussi de nouvelles pièces. Chaque année, je propose un thème différent comme Pierre Sabatier, Pierre Chapo, Alain Douillard… » Une démarche quasi pédagogique, que l’on retrouve chez Demisch Danant. Stéphane Danant, formé aux puces de Saint-Ouen, s’occupe surtout du sourcing. Il fait partie de ceux qui ont choisi de rester à Paris tout en ayant un pied à New York. « Les États-Unis ont surtout révélé mon identité française », affirme-t-il. C’est, donc, Suzanne Demisch qui gère la galerie. Stéphane explique l’évolution : « Je me souviens encore des débuts, en 2005, quand, pendant les foires, les Américains pensaient que j’étais Pierre Paulin. Ils s’intéressaient peu à l’histoire du meuble et nous faisaient confiance. Puis les années ont passé, les ventes se sont démultipliées, le design contemporain s’est imposé dans nos foires et cohabite désormais parfaitement avec l’ancien. Les gens n’ont pas le temps de se focaliser sur une période, c’est beaucoup plus volatil, ils achètent de tout et aiment le mélange. » Et surtout le charme à la française.

Galeries indépendantes, musées et foires internationales, Chicago, la conscience de l’art

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Chicago, la conscience de l'art

Art on the Mart : toute l’année des œuvres multimédias sont projetées sur la façade du Merchandise Mart, le plus grand bâtiment du monde, inauguré en 1930.

La grande métropole du lac Michigan connaît un bouillonnement artistique sans précédent. La connexion entre galeristes engagés, institutions ambitieuses, énergies créatives et une foire d’art devenue incontournable en fait un pôle culturel majeur.

Dans son bureau qui surplombe la Michigan Avenue et tout le centre de la ville, la présidente du Chicago Architecture Center balaie la vue : «Cette ville est un musée à ciel ouvert.» Lynn Osmond a bien conscience de la richesse entre ses mains : la terre d’accueil de Ludwig Mies van der Rohe, l’architecte-star du Bauhaus, devenue capitale de l’architecture contemporaine. Elle n’est pas la seule : plus de 450 volontaires et citoyens de la ville s’occupent de la faire visiter aux voyageurs. Parmi les 7 000 tours organisés, la croisière architecturale est un must pour connaître cette capitale qui a érigé le premier skyscraper (littéralement : «gratte-ciel») au monde et dont le centre-ville a été entièrement repensé après le grand incendie de 1871, qui avait tout détruit.

Ce trajet en bateau sur la rivière Chicago permet d’admirer notamment le bâtiment de la Poste centrale, construit dans les années 1920, ou encore le Millennium Park (un espace vert qui étire la ville depuis 2004), avant d’arriver sur le Navy Pier, la longue jetée qui accueille chaque année, au mois de septembre, Expo Chicago (1). Cette foire d’art contemporain réunit 135 galeries et attire tout un (petit) monde. «Cela a pris du temps, mais Chicago est devenue incontournable», explique Rhona Hoffman, la galeriste qui fait office de manuel d’histoire dans les milieux d’art de la cité. Quant à la directrice artistique d’Expo Chicago, Stephanie Cristello, elle note «une augmentation de la puissance de la foire lors de ses trois dernières éditions.» Et évoque les galeries internationales qui viendront pour la première fois cette année sur les rives du lac Michigan. Les noms prestigieux de Thaddaeus Ropac (Londres, Paris, Salzbourg), de Marian Goodman (New York, Paris, Londres), de Nara Roesler (São Paulo, Rio de Janeiro, New York) ou encore d’Axel Vervoordt (Anvers, Hongkong) viennent compléter ceux de Templon ou de Perrotin, pour citer deux fidèles Français. Dans cette longue liste, la marchande Mariane Ibrahim, qui s’est fait un nom aux États-Unis à travers l’art africain, est une illustration de la dynamique actuelle de la ville : il y a quatre ans, elle rechignait à exposer à Chicago, alors qu’elle y trouve aujourd’hui 70 % de sa clientèle. Résultat, Mariane s’y installe, fermant boutique à Seattle, où elle était établie depuis dix ans.

Chicago, bouillonnement arty

Un écosystème arty

«C’est comme si tout était prêt pour cela, organiquement, estime Valerie Carberry, associée et directrice de la Richard Gray Gallery. Il y a un véritable écosystème qui a rendu la scène artistique solide, avec une grande variété de collectionneurs de haut niveau très informés, des institutions sérieuses et ambitieuses, qui se renouvellent sans cesse, et des écoles d’art extrêmement réputées.» Dans cet ensemble, tout se connecte : les artistes viennent enseigner à Chicago et y restent ; les collectionneurs sont au comité de plusieurs musées ; galeristes et institutions se coordonnent dans un mouvement naturel, presque sans frontière entre public et privé. Valerie Carberry en sait quelque chose. Dans la sublime Gray Warehouse – un ancien entrepôt – inaugurée il y a deux ans, elle exposait avant l’été Theaster Gates, incontournable figure arty de Chicago, récemment exposé au Palais de Tokyo, à Paris. L’artiste afro-américain, représenté donc par l’une des plus anciennes et prestigieuses galeries de Chicago, œuvre parallèlement sur un autre front au sud de la ville.

Fin 2018, dans un quartier moins bien loti, à deux minutes de la future fondation Obama, il inaugurait la Stony Island Arts Bank, lieu le plus cool de Chicago : dans les locaux d’une ancienne banque, il a conçu une bibliothèque pensée au millimètre, un bar hors du temps, où viennent mixer des gens du quartier, et une salle d’exposition – restaurée, mais pas trop – aux murs de laquelle s’étalent 2 922 portraits de Barack Obama, peints jour après jour par l’artiste américain Rob Pruitt le temps du mandat de l’ex-président des États-Unis (20 janvier 2009-19 janvier 2017).

À l’opposé, au nord de la ville, dans le quartier résidentiel et huppé de Lincoln Park, un autre lieu hybride était dévoilé au même moment : Wrightwood 659. Un espace imaginé par l’architecte-star japonais Tadao Ando (comme la demeure voisine de son propriétaire, Fred Eychaner – philanthrope, homme d’affaires discret et immense collectionneur d’art asiatique), affichant l’ambition de montrer un art engagé sans créer de collection. Lors de la dernière exposition qui y a eu lieu, sur le thème du genre, des clichés réalisés par l’activiste américain Harvey Milk côtoyaient ceux de l’écrivain français Hervé Guibert. Ici ou au sud de la ville, sans que l’on puisse l’expliquer, chaque chose semble être à sa place.

Un héritage fort

Chicago, la conscience de l'art

Au Wrightwood 659, renové par Tadao Ando, les expositions sont résolument engagées, à l’image de la ville qui s’est dotée d’une maire noire et homosexuelle.

La diversité de ses quartiers rend la métropole riche d’une énergie qui lui appartient et qui fait d’elle une ville américaine à part. «Nous avons ici la positivité de Los Angeles, l’état d’esprit de New York et l’authenticité du Midwest, résume la galeriste Carrie Secrist, excentrique quinquagénaire et business woman en leggings. Le résultat est cordial, impulsif et intelligent.»
Chicago n’a jamais été neutre. «Nous venons d’élire une maire noire et homosexuelle, ce n’est pas rien, s’enflamme Rhona Hoffman, évoquant Lori Lightfoot, intronisée en mai dernier. Il y a ici une conscience, un dialogue social et une importante communauté noire engagée.» C’est là que, au milieu du XXe siècle, les Noirs fuyant le Sud raciste (The Great Migration) ont trouvé refuge. Un héritage artistique y a germé et, dans les différentes institutions de la ville, une sorte de fil invisible et subtil relie plusieurs œuvres.

Au Musée de la photographie contemporaine, une vidéo de l’Américain David Schalliol (The Area) montre une firme multimillionnaire qui rachète et détruit plus de 400 maisons de familles afro-américaines au sud de la ville. Au Musée d’art contemporain, une œuvre de l’artiste Arthur Jafa marque les visiteurs : Love Is the Message, the Message Is Death met en scène, en sept minutes, dans un montage d’images tendu sur fond de Kanye West, la condition noire aux États-Unis. Au sein de la galerie Rhona Hoffman, les clichés d’Afro-Américains de la photographe Deana Lawson interpellent par leur beauté et leur crudité. Ce n’est pas un hasard si la superstar de la mode Virgil Abloh a choisi de réaliser sa première grande exposition à Chicago, cette sleeping beauty largement réveillée et prête à se montrer généreuse, énergique et même révoltée.

(1) Cette année, Expo Chicago se tient du 19 au 22 septembre.

Guide pratique et bonnes adresses

L’Ace Hotel
Ace a réussi la prouesse de créer une chaîne à taille humaine, où chaque hôtel se fond dans la ville où il est situé. L’adresse de Chicago ressemble à… Chicago. Au milieu des œuvres d’artistes locaux, on traque la faute de goût : aucune. Le coffee-shop Stumptown Coffee Roasters, installé au pied de l’hôtel, est le lieu de rendez-vous parfait avant de partir arpenter le quartier des galeries.
311 N Morgan Street. acehotel.com.

Le Bar Biscay
Johnny Anderes, musicien quand il n’est pas aux fourneaux, sert une cuisine inspirée du Pays basque et des grands classiques français. S’asseoir au bar, commander un cocktail (un Perfect Bijou), et laisser la sympathie des propriétaires et de leur équipe vous envahir…
1450 W Chicago Avenue. barbiscay.com.

Le MOCP
Le Musée de la photographie contemporaine. Avant les années 1980, c’était une petite galerie. Devenu musée, le MOCP a acquis une stature internationale. Localement, c’est le seul lieu spécialisé en photo. Les travaux de célébrités comme Dorothea Lange, Robert Adams, Walker Evans ou encore Sally Mann ont été montrés ici, mais c’est surtout à travers la découverte de talents émergents que s’est forgée la réputation de l’institution, grâce à sa directrice, Karen Irvine. L’exposition intitulée Go Down Moses est à voir jusqu’au 29 septembre.
600 South Michigan Avenue. mocp.org.

Thanks for Nothing, une association pour lever des fonds... et changer le monde

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Les fondatrices de Thanks for Nothing

Anaïs de Senneville, Bethsabée Attali, Blanche de Lestrange, Marine Van Schoonbeek et Charlotte Stotzingen, fondatrices de Thanks for Nothing.

Elles sont cinq jeunes femmes trentenaires venues du monde de l’art et très connectées. En 2017, elles ont décidé de changer le monde en faisant appel aux artistes pour lever des fonds. Deux millions d’euros et quelques événements plus tard, dans un grand colloque au Louvre, elles font le bilan de tout ce travail pour inspirer une autre génération.

Si la beauté est la vérité, comme l’a écrit le poète romantique anglais John Keats, elle peut aussi être une arme. C’est ce que se sont dit les cinq créatrices de Thanks for Nothing. Ces cinq jeunes femmes, toutes venues du monde l’art, ont rêvé en 2017 que l’art pouvait être un moyen de faire le bien dans le monde. Thanks for Nothing («merci pour rien») «est une association qui mobilise les artistes et le monde de la culture en organisant des événements artistiques et solidaires ayant un impact majeur sur la société», explique Anaïs de Senneville, co-fondatrice de l’association, «dans trois axes principaux : la défense des droits de l’Homme, l’éducation et l’environnement.» Le premier événement organisé en septembre 2017, une vente aux enchères d’œuvres d’artistes stars, avait levé plus de deux millions d’euros entièrement redistribués à cinq ONG travaillant avec les réfugiés.

Allier art et citoyenneté

Demi-finalistes de notre prix Business With Attitude en 2019, Thanks for Nothing organise le 20 septembre à l’auditorium du musée du Louvre un colloque Art & Engagement. Au menu, des poids lourds du monde de l’art et de la culture : Tomas Saraceno, dont le projet au Palais de Tokyo autour de ses araignées a été le blockbuster de la saison dernière ; Barthelemy Toguo, artiste camerounais exposé dans le monde entier ; Jean-Michel Othoniel, Augustin Trapenard, parrain de Bibliothèque sans Frontières, ou encore Francesca Thyssen-Bornemisza, grande collectionneuse.

L’objectif du colloque est de penser les liens entre pratique artistique et action citoyenne, en présentant des initiatives innovantes issues d’acteurs engagés du monde de l’art, académique et associatif. Il rassemble des artistes, galeristes, philosophes, journalistes et dirigeants d’associations.

Cet événement unissant art et philanthropie, est conçu comme une sorte de TED Talk. «Nous avons choisi des artistes qui agissent réellement», explique Anaïs de Senneville. «Par exemple, Barthelemy Toguo a créé une fondation pour l’éducation des populations locales dont les femmes au Cameroun. Othoniel a mis sur pied une association pour aider à l’intégration des jeunes de la communauté LGBTQ+ exclus, en leur donnant du travail dans la communauté artistique. Anna Vargas, architecte vénézuélienne, a reçu d’Afield Fellowship une bourse destinée à des personnes du monde de la création qui ont un impact sociétal. Francesca Thyssen-Bornemysza dirige une fondation qui agit pour sauver les océans. Nous voulons inspirer la jeune génération et inspirer les Français sur ce qui se fait à travers le monde.» Ce deuxième colloque a été mis sur pied avec l’aide des étudiants de Sciences Po.

Deux ans après...

Le colloque au Louvre permettra également de faire le bilan, deux ans plus tard, de la première action, la vente We Dream Under the Same Sky, organisée avec la Galerie Chantal Crousel. «Deux ans plus tard, qu’est-ce que cet événement a apporté et qu’est-ce qui a été réalisé avec l’argent récolté», explique Anaïs de Senneville. Grâce aux cinq fondatrices de Thanks for Nothing, l’art n’est plus pour le plaisir des collectionneurs. Il peut changer le monde de tous les autres, et surtout de ceux qui ne rentrent jamais dans un musée ou une galerie.

Colloque Art & Engagement, vendredi 20 septembre, de 14 heures 19 heures à l'auditorium du Louvre. Gratuit, dans la limite des places disponibles.

Le plasticien Paul Heintz, sixième lauréat de la bourse Révélations Emerige

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"Foyers", œuvre de Paul Heint, lauréat de la bourse Révélation Emerige

Extrait de Foyers, 2018, de Paul Heintz.

L'artiste diplômé des Beaux-Arts de Nancy, âgé de 30 ans, remporte la sixième bourse Révélations Emerige. Son œuvre multiforme, qui croise fiction et réalité, a impressionné le jury présidé par le collectionneur Laurent Dumas.

À 30 ans, le Lorrain Paul Heintz vient de recevoir la bourse Révélations Emerige, graal des artistes de moins de 35 ans, sans galerie et travaillant en France. L’annonce, lors du vernissage mardi soir dans une affluence record, signe l’intégration de ce diplômé des Beaux-Arts de Nancy, des Arts décoratifs de Paris, et du Fresnoy au réseau hyperactif de la scène émergente contemporaine. Ses prédécesseurs - Vivien Roubaud, Lucie Picandet, Edgar Sarin, Linda Sanchez et Paul Mignard – y tracent déjà leur sillon. Fort des 15.000 € de la bourse, Paul Heintz produira une exposition l'an prochain à la galerie gb agency.

Vidéaste inspiré

Paul Heintz

L'artiste Paul Heintz, âgé de 30 ans, a remporté la bourse Révélations Emerige 2019.

Gaël Charbau, commissaire de l'aventure depuis le début, ancien directeur artistique de la Nuit Blanche 2018 et fin connaisseur de la scène émergente gardera un œil sur lui comme sur les autres finalistes. Passer au tamis du jury de sélection de la bourse Révélations, qui examine près de 800 dossiers chaque année, demande une envie, un engagement, bref, une énergie concentrée. Le travail de Paul Heintz affiche tout cela et plus encore de promesses. Sa vidéo Foyers où un pyromane entreprend de réchauffer un monde un peu froid, comme son travail, entre fiction et documentaire, sur les copistes à la chaîne de Shenzen dont les toiles se retrouvent à Montmartre, a bluffé le jury et l’a démarqué des 11 autres finalistes.

Voltaire, nouveau lieu de création

Ses œuvres ainsi que celles de ses camarades et des 5 précédents lauréats sont à découvrir à Voltaire (1), nouveau lieu de la création contemporaine proposé par le groupe immobilier Emerige pour un an. Deux expositions – les anciens lauréats au rez-de-chaussée, les jeunes à l’étage –, le tout dans une «boîte blanche» de plus de 1500 mètres carrés qui propose en vitrine une librairie et un restaurant pop-up des Cuistots Migrateurs et, dans une des expos, le canari de la gardienne des lieux. Ouvrez l’œil.

(1) «Cinq ans, exposition rétrospective» ; «L’effet Falaise», exposition collective des 12 artistes de la bourse Révélations Emerige 2019. Du 9 octobre au 17 novembre à Voltaire, 81, boulevard Voltaire, 75011 Paris. revelations-emerige.com.

Biennales, galeries, collectifs… À Budapest, la scène artistique est en pleine ébullition

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Budapest, l'art de rêver

Le Parlement, bijou d’architecture posé sur les bords du Danube.

Biennale autofinancée, galerie-musée, collectifs… Jeune et créative, la scène artistique se déploie en marge des institutions publiques, soutenue par des collectionneurs engagés.

«Quand je veux sortir, je ne sais pas où donner de la tête tellement il y a de choses intéressantes à faire, entre les vernissages, les tables rondes, les rencontres», raconte Csaba Nemes, un peintre reconnu dont les toiles aux couleurs sensuelles sont ouvertement politiques. Nul doute, «ici, il n’y a pas assez de galeries pour le nombre de jeunes et bons artistes», estime Deák Erika, galeriste en vue et collectionneuse, qui regrette cependant le poids omniprésent de la politique. Il y a quelques années, après l’élection du parti d’ultradroite de Viktor Orbán, «tout le pouvoir culturel a été donné à une association très conservatrice, la MMA», expliquent Csaba Nemes et sa compagne, l’artiste Dia Zékány. Deux camps se sont alors installés. D’un côté, les institutions d’État, comme le Musée d’art (Müscarnok), aux mains de la MMA, accueillent des expositions blockbuster internationales. «Mais des expositions avec un niveau médiocre, et complètement déconnectées de la scène locale comme de ce qui se passe dans le reste du monde», se désole Margit Valkó, directrice de la galerie privée Kisterem.

Budapest, l'art de rêver

Scène ultradynamique et innovante

De l’autre côté, petits espaces indépendants et galeries privées forment une scène ultradynamique et innovante. Les galeristes rayonnent localement et à l’étranger. «La galerie ACB, par exemple, travaille presque comme un petit musée, avec un laboratoire de recherche, et en donnant parfois des bourses», explique Csaba Nemes. Les collectionneurs hongrois, peu nombreux, mais hyperactifs, amplifient le mouvement. «J’ai rejoint depuis peu le comité d’acquisition est-européen de la Tate, où nous sommes trois Hongrois. Au centre Pompidou, ils sont quatre», raconte Judit Reszegi, directrice d’une entreprise familiale de produits abrasifs et collectionneuse d’art contemporain depuis sa jeunesse.

Judit et ses pairs permettent aux artistes locaux de se frayer un chemin sur la scène internationale. En ce moment, c’est particulièrement le cas pour les artistes du mouvement Néo avant-garde. Né(e)s dans les années 1930, ils s’appellent Imre Bak, Ilona Keserü, Istvan Nadler, Tamas Jovanovics ou Dóra Maurer et rencontrent aujourd’hui les faveurs des collectionneurs et des historiens de l’art du monde entier. Une rétrospective Dóra Maurer est d’ailleurs visible à la Tate Modern, à Londres.

Une nouvelle galerie par mois

Budapest, l'art de rêver

La Budapest Poster Gallery dispose d’une collection rare de posters reflétant l’histoire du pays, comme cette affiche antifasciste.

À Budapest, il faut véritablement écumer les galeries privées, dont une nouvelle naît chaque mois ou presque. Les plus établies sont, entre autres, Kisterem, Vintage, Trapéz, Knoll, Deák Erika, Viltin ou Glassyard. La ville possède également un solide tissu de lieux indépendants et prescripteurs - le Trafó, la galerie Budapest, l’Art Quarter Budapest, très excentré, où vivent et exposent d’excellents jeunes artistes et commissaires -, les musées Kassák et Kiscelli, et de nombreux espaces plus alternatifs tenus par des collectifs, comme Gólya et Auróra… Et surtout, la visionnaire OFF-Biennále (lire ci-dessous), sans moyens mais forte des propositions les plus innovantes de la scène locale. Restent quelques étapes de choix pour le visiteur épris d’art : les musées Capa et Vasarely, modernes et bien tenus, offrent une vision claire de l’œuvre de ces deux artistes et de leur apport à la culture visuelle hongroise et occidentale.

Le Ludwig Múzeum, avec ses volumes graphiques et monumentaux, propose de bonnes expositions sur la scène est-européenne et une collection permanente éclairante. Même constat à la Galerie nationale hongroise, située dans le château de Buda, où malgré des moyens maigrissimes le directeur Zsolt Petrányi parvient à rassembler un singulier aperçu de ce qui s’est passé ici depuis quelques décennies. Reste que la scène contemporaine, privée d’une collaboration fructueuse avec ces grandes institutions, alterne entre espoir et dépression… «La plupart des artistes et des commissaires travaillent avec leur argent personnel», s’inquiète Katalin Timár, commissaire au Ludwig Múzeum, qui dirige aussi bénévolement des projets dans son temps libre… La vie artistique de Budapest a encore beaucoup à dire.

Préparer son voyage

Le monde d’hier : vous avez adoré Sissi ? C’est le moment de revoir les films. L’histoire romancée de l’impératrice permet néanmoins de réviser le passé de la Hongrie, qui forma avec l’Autriche un empire à deux têtes, siège d’une culture encore visible dans mille détails de la ville.

Réviser les maîtres : on consulte les monographies d’André Kertész, Brassaï, Robert Capa. On peut même s’offrir une escapade à la spectaculaire Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence, tout juste rénovée.

Repérer des adresses : le site Offbeatbudapest, en anglais, trie avec justesse les galeries, hôtels, boutiques et restaurants.

Carnet d’adresses

Budapest, l'art de rêver

Le musée Kassák est consacré au chef de file de l’Avant-garde hongroise, le peintre et écrivain Lajos Kassák.

Brody House. Cofondé par un Anglais et un Suédois, cet hôtel a investi avec goût un vieil immeuble du centre-ville, où les chambres sont décorées façon récup’chic par des artistes à la mode. Les hôtes deviennent de facto membres d’un club, le Brody Land, qui comprend une résidence d’écrivains, des studios qui accueillent régulièrement des célébrités de passage - comme Matt Damon - et un restaurant, le Workshop. brody.land/brody-house

Musée Kassák. Sur une place verdoyante bordée d’adorables immeubles baroques, ce tout petit musée (situé juste derrière le Musée Vasarely), dirigé par la très réputée Edit Sasvári, raconte avec modernité l’histoire de Lajos Kassák, intellectuel, éditeur et artiste engagé, maître à penser de Robert Capa, qui entretint de fructueuses relations avec les mouvements d’avant-garde européens. Des expositions temporaires dialoguent avec l’œuvre de Kassák. kassakmuzeum.hu.

Budapest Poster Gallery. Cette galerie tenue par le sympathique et bien informé Adam Varkonyi expose et vend depuis dix ans des œuvres sur papier : posters vintage, mais aussi maquettes originales de ces posters, dessins, photos, collages, livres anciens… et bientôt de la céramique. On y trouve des trésors. Le MoMA est client. Sur rendez-vous. Prix entre 100 et 50.000 euros. budapestposter.com.

Restaurant Bar Kisüzem. Cet endroit, nature et chaleureux, expose des œuvres d’artistes bien choisis, accueille des concerts et sert à prix doux de bons alcools et de savoureuses assiettes préparées avec des ingrédients locaux dans une cuisine ouverte. On y croise les meilleurs artistes de la ville. Kis Diofa Utca 2., Budapest.

À voir pendant les fêtes de Noël

Code et algorithme, hommage à Vera Molnár : une exposition de groupe célèbre cette artiste française de 95 ans née à Budapest, précurseure de l’art numérique, et dont l’œuvre a dialogué avec celles de François Morellet, Julio le Parc, Victor Vasarely… Musée Vasarely, jusqu’au 19 janvier.

Gorgona 1959-1968 : rétrospective d’un groupe d’avant-garde croate actif de 1959 à 1968. Pour découvrir la diversité des mouvements artistiques de l’ancien bloc communiste. Musée Kassák, jusqu’au 5 janvier.

Géza Perneczky : Mirrors. Le travail de ce photographe conceptuel a mis le feu au poudre du mouvement Néo avant-garde hongrois dans les années 1970. À découvrir en même temps qu’une rétrospective du travail de photojournaliste de Robert Capa opérant une synthèse émouvante d’une grande partie de son œuvre. Musée Capa, respectivement jusqu’au 8 et 31 décembre.

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