Le mouvement AhAhAh! et Madame Figaro présentent : « Les petits déjeuners de la créativité ».
Le mouvement AhAhAh! et "Madame Figaro" présentent : "les petits déjeuners de la créativité"
Le mouvement AhAhAh! et Madame Figaro lancent un format de rencontres autour de la création et de l’innovation : « Les petits déjeuners de la créativité ». Une fois par mois, AhAhAh! et Madame Figaro réunissent des personnalités du mondes des arts sur des thématiques autour de l’innovation et de la création vues comme des solutions à la crise.
Les invités du premier petit-déjeuner, qui s’est tenu le 25 octobre à l’Hôtel Marignan, se sont interrogés sur l’impact de la crise sur la création. Extraits de nos échanges.
Crise et inspiration artistique. L’artiste libanais Khalil Joreige explique qu’il est « né d’une succession de crises. Je n’étais pas destiné à devenir artiste ou cinéaste. Ce sont les crises passées et à venir qui m’ont poussé à créer des films et des œuvres ». L’artiste français Fabrice Hyber raconte qu’il « n’écoute pas ce qui se dit sur la crise ». Il préfère agir, créer des ponts et a ainsi lancé l’école Les Réalisateurs, qui permet à des artistes de trouver des financements.
Évolution du marché. Pour la galeriste Nathalie Obadia, qui vient d’ouvrir un second espace à Paris et qui participe à plus de dix foires par an, les galeristes sont des entrepreneurs. Pour Émilie Faure, directrice de la White Cube Gallery, à Londres, la galerie a vocation à démocratiser le marché. Marin Karmitz, fondateur de MK2 et collectionneur, souhaiterait que le ministère de la Culture joue les contre-pouvoirs face aux excès du marché. Et que les collectionneurs revendiquent leurs collections. « Ce qu’ils font à l’étranger », reprend Victoria Gandit Lelandais, coordinatrice du Cercle des collectionneurs de la Art Dubai Fair. Enfin, pour Anne Martin-Fugier, écrivain et historienne, « contre la crise, il faut des expériences actives et modestes. »
À 35 ans, elle a reçu le prix le plus prestigieux de l'art contemporain
Une première ! La Française Laure Prouvost est lauréate du Turner Prize britannique, le prix d’art contemporain le plus prestigieux (doté de 30 000 euros) qui a récompensé par le passé Damien Hirst ou Anish Kapoor. Lors de la cérémonie, lundi 2 décembre, à Londonderry, en Irlande du Nord, la jeune femme blonde, 35 ans, s’exclamait « merci d’avoir primé une Française » avant d’ajouter : « je me sens adoptée par le Royaume Uni ». De fait, ce prix récompense chaque année un artiste de moins de 50 ans, à la condition expresse qu’il vive, réside ou soit né au Commonwealth. La vidéaste ne déroge pas à la règle : elle habite depuis quinze ans en Grande-Bretagne où elle a fréquenté les prestigieuses écoles : Saint Martin College of Arts et le Goldsmiths College de Londres. C’est au détour de ses études qu’elle rencontre le peintre John Latham –elle sera un temps son assistante – un doux rêveur qui produisait des « pensées gelées » et imaginait faire du land art avec les terrils de Glascow. Lui a-t-il transmis son sens de l’humour ?
Une de ses œuvres met en scène un grand-père fictionnel qui creuse un tunnel reliant l’Angleterre à l’Afrique et dont le point de départ est sa salle à manger. Délaissée, sa femme se venge de son absence en emplissant la maison de sculptures en terre cuite polychrome… Avec Laure, un bout de pain se transforme en gâteau et de vieilles photos de vacances en histoires à dormir debout . « Je regarde le côté bizarre de la vie de tous les jours avec dérision, dit-elle. Tout me fait rire ou sourire parce que rien n’est normal dans le fond ». « Son travail mêle les faits, la fiction, l’histoire de l’art et les technologies modernes », a déclaré le jury présidé par Penelope Curtis, directrice de la Tate Britain, le musée londonien qui patronne le prix.
Laure Prouvost, lauréate du Turner Prize.
Cet univers aux images courtes de la génération Instagram, empreint de nostalgie et de tendresse, lui a valu d’être préférée à ses trois concurrents (Lynette Yiaodom-Boakye, David Shrigley ou Tino Sehgal, Lion d’or de la dernière biennale de Venise) ainsi que de remporter en 2012 le prix Max Mara de l’art au féminin. Inconnue en France, cette figure montante de l’art contemporain participe actuellement à la Biennale de Lyon avant d’être exposée par la galerie Nathalie Obadia en septembre 2014 à Paris.
Les jeunes élèves de Ouidah devant une œuvre de Bruce Clark.
Photo Jean-Dominique Burton
Reportage au Bénin pour l'ouverture du musée de la fondation Zinsou, à Ouidah
En images
Gérard Quenum devant deux de ses peintures.
C'est à Ouidah, à une trentaine de kilomètres de Cotonou la capitale du Bénin, qu' a ouvert le premier musée d'art contemporain.
Photo Jean-Dominique Burtonimage
La Porte du Non Retour qui borde la plage de Ouidah rappelle les heures sombres de la traite négrière.
Photo Patricia Boyer de LatourGérard Quenum devant deux de ses peintures.
C'est d'abord en pensant au jeune public que Marie-Cécile Zinsou a créé ce musée, "pour les amateurs, artistes, commissaires et marchands d'art de demain".
Photo Jean-Dominique BurtonGérard Quenum devant deux de ses peintures.
Installation faite de matériaux de récupération, "Bénin 2059" la dernière création de l'artiste béninois Aston, interroge le futur des jeunes visiteurs.
C'est au Bénin que le premier musée d’art africain contemporain du continent vient d’ouvrir ses portes.Reportageavec les enfants de Ouidah qui viennent visiter "leur musée".
Angélique, Jonas et Kéfil ouvrent grand leurs yeux et leurs oreilles. Ils ont entre 6 et 8 ans, sont venus à pied de leur école dans leur bel uniforme bleu et entrent pour la première fois dans un musée. Et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du premier musée d’art africain contemporain en Afrique subsaharienne (excepté l'Afrique du Sud). Le musée de la fondation Zinsou situé à Ouidah, à 30 kilomètres de piste de Cotonou, capitale du Bénin, dans la Villa Ajavon, est une sublime demeure de style afro-brésilien datant de 1922, entièrement rénovée pour l’occasion. Leur institutrice les accompagne, un médiateur les accueille. Ici, on ferme les cahiers. Et on regarde... Par exemple, la dernière création d’Aston, lauréat de la Biennale du Bénin 2013. Repéré par François Pinault, Bénin 2059, est une installation faite de matériaux de récupération et figurant une catastrophe prévisible si l’on détruit l’agriculture locale. Ou un peu plus loin, Gou, le dieu vaudou de la guerre, bien connu des enfants, se voit énergiquement peint par Cyprien Toukoudagba, un artiste révélé par l’exposition des Magiciens de la terre au Centre Pompidou à Paris en 1989, et disparu l’an dernier.
Ce musée, Marie-Cécile Zinsou, présidente de la fondation éponyme, en rêvait. Aujourd’hui, après un an et demi de travaux destinés à mettre le bâtiment aux normes européennes, le musée existe bel et bien, ouvert à tous et gratuit. Ses 1600 m2 sont répartis sur deux étages magnifiquement restaurés, comme elle l’a toujours souhaité. Une quinzaine d’artistes du continent africain issus de la collection de la fondation (qui compte à ce jour 1000 œuvres d’artistes de 30 pays d’Afrique) sont ici représentés. Parmi eux, des stars internationales comme les photographes Malick Sidibé et Seydou Keïta, les plasticiens Frédéric Bruly-Bouabré, Chéri Samba, Cyprien Tokoudagba et Romuald Hazoumé, deux artistes béninois exposés partout dans le monde avant de l’être dans leur propre pays.
"Regarder notre histoire et notre avenir"
Pour cette classe de Ouidah, la visite dans un musée d'art contemporain est une première.
Photo Jean-Dominique Burton
C’est jour de fête à Ouidah ! On annonçait une grosse averse… Les « coupeurs de pluie », à qui on a demandé de l’aide, ont invoqué les esprits. Pas la moindre goutte, comprenne qui pourra. La magie est là… Des délégations officielles sont venues, des responsables religieux de toutes obédiences, des personnalités étrangères parmi lesquelles Jean-Michel Attal, collectionneur d’art contemporain, et Tobi Nathan, ethnopsychiatre, ainsi que des enfants, beaucoup d’enfants. C’est d’abord pour eux que Marie-Cécile se bat, « les amateurs, artistes, commissaires et marchands d’art de demain ».
À ceux qui lui demandent s’il était bien nécessaire d’ouvrir un musée d’art contemporain à Ouidah, une ville de 25 000 habitants, qui, par ailleurs manque souvent de l’essentiel, c’est-à-dire d’eau, d’électricité et de routes, la jeune présidente répond oui sans hésiter. « La culture est un droit et ne peut être considéré comme un luxe, même s’il y a des urgences humanitaires. L'État n'est pas présent sur le terrain, or il est primordial aujourd’hui de permettre à tous les Béninois, et, en particulier, aux 50% de la population qui ont moins de quinze ans, d’avoir accès au meilleur de la création contemporaine, très vivante en Afrique. »
Elle compte développer un réseau de mini-bibliothèques et permettre la création de « Petits Pinceaux », ces ateliers d’initiation aux pratiques artistiques qui existent déjà dans le cadre de la fondation à Cotonou. Le choix de Ouidah ne s’est pas fait au hasard. « Il s’agit ici de regarder notre histoire et notre avenir. En changeant la vision de Ouidah, nous souhaitons l’ouvrir au monde de manière positive. » Cette ville occupe une place à part dans l’imaginaire béninois. Aux heures sombres de la traite négrière, elle était le dernier rivage avant le grand départ pour les Amériques… Un monument, la Porte du Non-Retour, rend témoignage de l’arrachement d’hommes, de femmes et d’enfants à la terre de leurs ancêtres. On y accède aujourd’hui encore après avoir parcouru l’ancienne route des esclaves balisée dorénavant par des sculptures de rois et de dieux vaudous imaginés par Cyprien Tokoudagba.
Revenus sur la terre de leurs aïeux, certains affranchis du Brésil, comme le propriétaire de la Villa Ajavon, ont redonné vie à Ouidah, au XIXe et au début du XXe siècle, par le commerce de l’huile de palme. « Mais moi qui suis un Béninois du XIVe arrondissement de Paris, j’ai toujours vu cette ville en décrépitude, explique Lionel Zinsou, brillant financier franco-béninois dont la famille paternelle est originaire de Ouidah. Il est aussi le père de Marie-Cécile, trésorier de la fondation et son principal mécène. Lorsque j’étais enfant, je n’imaginais pas qu’il put en être autrement. »
Ouidah, berceau du vaudou
La salle Romuald Hazoumé.
Photo Jean-Dominique Burton
Aujourd’hui, en visitant la ville avec lui, on en saisit les sortilèges et les richesses. « Tel bâtiment de style colonial pourrait être reconverti en résidence d’artiste, tel autre accueillir une collection d’art contemporain… À la manière de ce qui se fait déjà à la Fondation Besse à Naoshima au Japon », précise Lionel Zinsou. C’est ce que la fondation compte faire. Entre le temple aux pythons et la forêt sacrée, la basilique catholique, la mosquée et le fort portugais qui abrite une exposition permanente de Pierre Verger, grand spécialiste de la culture yoruba, la ville est le lieu de tous les partages et le berceau du vaudou.
Beaucoup d’artistes béninois contemporains sont imprégnés de cette culture qui se transmet dans les universités closes que sont les couvents vaudous et les cours royales toujours actives dans la région. Cyprien Tokoudagba a travaillé toute sa vie pour le musée royal d’Abomey et Romuald Hazoumé s’inscrit dans ses racines yorubas, tout en traitant de manière très contemporaine ses masques africains à partir de bidons d’essence déformés. Au musée de Ouidah, une série de Kifouli Dossou, Le Sondage, s’avère être une commande de la fondation Zinsou : dix masques guélédés actuels pour saisir les préoccupations de la société béninoise : l’accès aux soins, l’aide aux cultivateurs, la nécessité de l’éducation, etc.
Au siège de la fondation à Cotonou, on peut voir le travail récent de Gérard Quenum qui transpose en un trait de pinceau les mouvements rythmés des danses rituelles, en noir et blanc. Et ce n’est sans doute pas un hasard si, au moment de l’ouverture du premier musée d’art contemporain en Afrique, d’autres structures artistiques voient le jour dans la région, comme celle du Centre Unik, une initiative de Dominique Zinkpe, artiste béninois qui ouvre un lieu de résidence destiné aux artistes à Abomey.
« Je sais d’où je viens », martèle Romuald Hazoumé qui, lorsqu’il n’est pas dans son atelier de Porto-Novo ou sa résidence de Cotonou, passe sa vie en avion entre deux expositions au bout du monde. Pour ensuite mieux revenir en Afrique où les artistes d’aujourd’hui, ici comme ailleurs, ne se soucient pas des frontières.
Marie-Cécile Zinsou, l’amazone de l’art africain contemporain
Des études d’histoire de l’art, un goût pour la création contemporaine, une envie de s’investir au Bénin dont son père, Lionel Zinsou, financier franco-béninois, est originaire, ainsi que son grand-oncle, Emile-Derlin Zinsou, ancien président de la République et un autre qui faillit être pape, le cardinal Gantin. Marie-Cécile Zinsou a 31ans, de l’énergie à revendre et une opiniâtreté à toute épreuve sous ses airs souriants de grande fille toute simple. Ce musée d’art africain contemporain à Ouidah, elle le voulait depuis longtemps. « Trop souvent en Occident, on ne parle de l’Afrique qu’en termes misérabilistes, à cause des guerres et de la famine… Or, il y a aussi une telle créativité sur ce continent ! Et jusqu’à ce jour, il n’y avait pas de musée strictement dédié à la scène africaine contemporaine en Afrique de l’Ouest. »
Elle s’est mise en tête de l’exposer. Aux Africains tout d’abord. Et de la faire partager. Dans un premier temps, au siège de la fondation Zinsou, dont elle est la présidente. Son père en est le trésorier et le principal mécène. Et maintenant, au musée de la fondation à Ouidah. Pas moins de 22 expositions, de Basquiat à Malick Sidibé, en passant par Romuald Hazoumé, ont déjà eu lieu à Cotonou. En huit ans, la fondation a accueilli, selon elle, 4 millions de visiteurs. Des catalogues d’art, des CD et des DVD sont régulièrement édités pour mieux comprendre l’univers de ces artistes. Un bus pour le transport des plus jeunes a permis à plus de 70 000 enfants de 300 établissements scolaires de voir ces expositions. Les demandes des écoles de Ouidah arrivent de toutes parts et le jour de l’inauguration, plus de 80 enfants ont visité le musée. Au Bénin, son chauffeur l’appelle « patron », son père « l’amazone », en référence aux guerrières des rois africains représentées par l’artiste béninois Cyprien Tokoudagba. Et les enfants l’ont baptisée « fondation ». Comme Fondation Zinsou !
Marie-Cécile Zinsou, présidente de la fondation.
Romuald Hazoumé, le magicien itinérant
Profil. Né en 1962 à Porto-Novo au Bénin d’une famille noble yoruba, Romuald Hazoumé est un acteur majeur de la scène africaine contemporaine. Son talent multiforme – il est dessinateur, peintre, sculpteur, photographe et vidéaste – a été repéré dans les années 1980 par André Mangin qui l’a fait connaître bien au-delà des frontières de son pays. Il a obtenu le prix Arnold Bode à la Documenta 12 de Kassel, est exposé partout dans le monde, et collectionné par les plus grands amateurs d’art, parmi lesquels Barbier Mueller, Agnès b., David Bowie et Jean Pigozzi. Volontiers provocateur, charismatique, souvent vêtu comme un roi africain traditionnel, sa personnalité hors normes ne laisse pas indifférent. Il se définit comme un « Are », un porteur de connaissance itinérant au service de la communauté.
Œuvre. Dans les années 1980, il s’empare d’un objet emblématique de la vie courante béninoise : le bidon d’essence. Ses masques, créés à partir de jerricanes usagés, impressionnent. Il conçoit aussi des installations, comme La Bouche du roi, où 300 bidons représentent un bateau négrier. Par ailleurs, marqué par les croyances vaudou avec lesquelles il a été élevé parallèlement à la religion catholique, il réalise une série de toiles se rapportant au Fâ, un art divinatoire à caractère sacré, traduisant la conception du monde yoruba.
Gérard Quenum, le féticheur iconoclaste
Gérard Quenum devant deux de ses peintures.
Photo Patricia Boyer de Latour
Profil. Né à Porto-Novo en 1971, Gérard Quenum est une figure émergente de la scène africaine qui intéresse de plus en plus le monde de l’art contemporain en dehors des frontières du Bénin. Catholique mais aussi petit-fils d’une prêtresse vaudou, il assume le syncrétisme dont il est issu et fait feu de tout bois. « Je travaille sur ce qui me touche et je voyage beaucoup. » Le regard en alerte, Gérard Quenum ramasse ce qu’il trouve et en fait de l’art. Sculpteur et peintre, il se situe dans la lignée d’un Basquiat dont il est proche sans pourtant l’imiter. On peut voir son travail à l’October Gallery de Londres et chez Vallois à Paris.
Œuvre. Poupées abandonnées et carbonisées au chalumeau avant d'incarner les totems d’un monde au devenir incertain, toiles aux couleurs fortes qui rendent comptent de la violence et des injustices, peintures noires sur fond blanc qui figurent les images insaisissables des combats d’animaux ou de danses rituelles… L’univers protéiforme de Gérard Quenum fascine et interpelle les visiteurs de la fondation Zinsou à Cotonou où une rétrospective de ses œuvres est présentée avec succès depuis la mi-septembre.
Profil. Né en 1978, à Cové au Bénin, dans une famille de sculpteurs yorubas, il décide d’en faire son métier. À la différence de ses frères, artisans inscrits dans la tradition des masques guélédés, portés par des hommes lors de cérémonies en l’honneur des femmes et de la maternité, il devient artiste à part entière. Il intéresse des amateurs d’art étrangers et gagne le soutien de Romuald Hazoumé, sensible à la beauté expressive de son travail sur bois. Autodidacte doué et imprégné de vaudou, il crée des masques non plus destinés aux cérémonies, mais œuvres d’art dont le but est d’alerter la communauté sur l’état de la société. Son œuvre a été exposée au Brésil et en France.
Œuvre. Il s'inspire de scènes de la vie courante. En 2010, il a répondu à une commande de la Fondation Zinsou. Il s’agissait de comprendre les préoccupations de la société béninoise. Après avoir sondé la population, il a sculpté dix masques réunis dans la série Le Sondage. Autant de scènes apparemment naïves, mais très raffinées dans leur réalisation et qui renouvèlent le genre en profondeur.
Après les arbres et les hommes, Berlinde de Bruyckere coule des arbres en cire qu’elle métamorphose en corps blessés, bleu des veines et rouge du sang.
Photo Christian Aschman
Pas plus créatifs que les artistes du Plat Pays ! Sans tabous, décalés, pas déplacés, pétris de doute et d’humour, ils nous passionnent. À Paris, la Maison rouge nous en donne un bel aperçu.
Il paraît qu’un artiste belge se reconnaît de loin. À quoi ? À une tradition surréaliste qui court de Magritte à Panamarenko, en passant par Broodthaers. À une forme d’ironie, voire de drôlerie, déjà décelable dans les tableaux de Brueghel. Au culte des maîtres anciens, tous ces peintres flamands (Van Eyck, Bouts, Memling, Bosch…) dont l’iconographie religieuse se pare d’un glacis transparent. À leur manière de réactualiser la tradition de l’école du Nord - source carnavalesque festive et macabre ou scène de la Passion époque gothique - en la métissant d’une culture mondialisée. « Pourquoi pas la Belgique ? » revendiquent ces artistes qui habitent Gand ou Anvers, Hasselt ou Laethem-Saint-Martin, territoire de leurs racines et de la création. Leurs villes, au carrefour de l’Europe, leur servent de base arrière, alliant le local à l’international. Ils ont en commun de vivre sous un ciel d’argent chanté par Jacques Brel et d’avoir d’immenses ateliers en brique où il fait bon travailler. À chacun son vocabulaire. Résumons. Il y a les chevaux si humains de Berlinde de Bruyckere, les cochons tatoués de Wim Delvoye, les élytres de scarabée de Jan Fabre, les mikados mégalos d’Arne Quinze, les poulets hybrides de Koen Vanmechelen… Ils ont le goût du bizarre, ces Belges. Et cette « inquiétante étrangeté » fascine.
Berlinde de Bruyckere, l’écorchée vive
CV : Née en 1964 à Gand. Sculpteur. Atelier : Une ancienne école près du port, quartier de mixité sociale. Un étage pour elle, un autre pour son mari, l’artiste Peter Buggenhout, et une partie pour la vie de famille avec leurs deux fils. Ville : Gand, où ses parents tenaient la boucherie pendant qu’elle était pensionnaire, où elle a étudié l’art à Saint-Luc, où elle aime visiter l’Agneau mystique de Van Eyck, où elle se promène dans les forêts alentour. Belge attitude :« L’importance des racines, quelque chose de brut (à l’opposé du décoratif) et une forme d’honnêteté fédèrent les artistes belges. » Travail : La vie et la mort, Éros et Thanatos, la force et la fragilité, l’angoisse et la protection, le désir et la souffrance, la condition humaine… Après les arbres et les hommes, l’artiste coule des arbres en cire qu’elle métamorphose en corps blessés, bleu des veines et rouge du sang. Fait d’armes :Cripplewood, qui a représenté la Belgique à la 55e Biennale de Venise en 2013, avec pour curateur, J. M. Coetzee, Prix Nobel de littérature. Actu :« Il me faut tout oublier »*, une expoàLa Maison rouge (dont elle est commissaire), où elle fait dialoguer dessins et tableaux de son ami le peintre Philippe Vandenberg avec son œuvre à elle, dont de nouvelles sculptures à base d’arbres ou de bois de cerf. À l’intersection de leur travail, la mort, la douleur, la difficulté de vivre, et puis chez Berlinde, la compassion, le réconfort.
Après les arbres et les hommes, Berlinde de Bruyckere coule des arbres en cire qu’elle métamorphose en corps blessés, bleu des veines et rouge du sang.
Photo Christian AschmanJan Fabre
Les sculptures d'arbre en cire de Berlinde de Bruyckere sont une expression de la condition humaine.
Photo Christian AschmanJan Fabre
Koen Vanmechelen est connu pour son Cosmopolitan Chicken Project, projet artistique lancé à la fin des années 1990, qui a pour thème central la poule, métaphore de l’humain.
Photo Christian AschmanJan Fabre
À la croisée de la science et de l'art, le travail de Koen Vanmechelen est un éloge du métissage. Ici, une rangée de dix-sept générations de poule.
Koen Vanmechelen est connu pour son Cosmopolitan Chicken Project, projet artistique lancé à la fin des années 1990, qui a pour thème central la poule, métaphore de l’humain.
Photo Christian Aschman
CV : Né à Saint-Trond, en 1965. Peintre, sculpteur, installateur. Atelier : Une ancienne fabrique de gélatine reconvertie en studio de 3 000 mètres carrés. Ici le paradoxe de la poule et de l’œuf (à savoir qui est apparu en premier) prend tout son sens : des rangées de gallinacés empaillés jusqu’aux installations avec œufs, en passant par l’autoportrait de l’artiste en manteau de poule… Ville : Hasselt, dans la région de Limbourg, bassin minier frontalier des Pays-Bas et à proximité de huit aéroports internationaux. Belge attitude :« La phrase “Ceci n’est pas une pipe”, de René Magritte, sous-tend mon travail conceptuel. »
Travail : Il est connu pour son Cosmopolitan Chicken Project, projet artistique lancé à la fin des années 1990, qui a pour thème central la poule, métaphore de l’humain. Le métissage entre diverses poules de races nationales aboutit à des poules cosmopolites. La Mechelse Styrian constitue la dix-septième génération. L’artiste confronte l’art à la science et à la philosophie. Faits d’armes : En 2010, le titre de docteur honoris causa de l’université de Hasselt et, en 2013, le Golden Nica for Hybrid Art.
Projet : Semer partout dans le monde le CosmoGolem (trente et un existent déjà), une sculpture en bois de 4 mètres de haut, mascotte de sa Cosmogolem Foundation pour la défense des droits universels de l’enfant.
Arne Quinze, constructeur écologique
L'œuvre d'Arne Quinze oscille entre fragilité et force, immuable et éphémère, analyse la condition humaine.
Photo Christian Aschman
CV : Né en Belgique, en 1975. Sculpteur, installateur. Atelier : Une vieille écurie transformée en atelier de 600 mètres carrés au milieu des bois (près de Gand) et un lieu de production et de stockage de planches de bois de 4 000 mètres carrés en plein Shanghai. Ville : Gand, si préservée qu’elle ressemble à un décor du Moyen Âge, mais où ça bouge grâce à l’émergence de sa scène musicale.
Belge attitude :« Le Belge n’est pas chauvin contrairement au Français ou à l’Anglais. Né dans un petit pays, il développe un esprit de compétition pour en sortir. »
Travail : Connu pour ses grandes installations organiques en bois recyclé souvent peint en orange électrique, il lutte pour changer les villes en musées de plein air, partant du constat que « là où il y a de la culture, il y a moins de tension et plus de dialogue ». Pour lui, chaque chevron correspond à un visiteur. Son œuvre, qui oscille entre fragilité et force, immuable et éphémère, analyse la condition humaine.
Faits d’armes : Des installations de plus en plus grandes (en général 30 mètres, parfois 100 mètres) sur un pont de la Seine à Rouen, sur la digue d’Ostende, dans le désert du Nevada, à Shanghai… Projet :One World by the People of Tomorrow, un pont piétonnier de 537 mètres de long, installé sur le site du festival de musique Tomorrowland, en Belgique, en juin 2014. Symbole de fraternité entre les hommes, il sera constitué de 210 000 messages, tags ou graffitis envoyés à l’artiste.
Wim Delvoye, gentleman provocateur
Wim Delvoye met l’accent sur l’ornemental, renverse les hiérarchies entre bon et mauvais goût, interroge la fonction de l’objet décoratif en mélangeant les genres et les styles, le profane au sacré, l’hygiène à la scatologie.
Photo Christian Aschman
CV : Né en 1965, à Wervik. Sculpteur. Atelier : Un portail inspiré de l’enfer de Dante le sépare de la rue. À l’effigie de Mr. Propre, accompagné d’un blason où se croisent des fourchettes irrévérencieuses, on peut y lire « Cloaca », du nom de la machine-installation à faire des excréments qui inscrit l’artiste dans une lignée de Marcel Duchamp à Piero Manzoni. L’atelier, une ancienne école reconvertie en 1 400 mètres carrés de brique, de verre et de béton, est constitué de cinq lofts. Ville : Gand, où il a élu domicile et qui le retient comme un élastique. Belge attitude :« Une liberté énorme, une modestie légendaire, une capacité de résistance et un doute universel. »
Travail : Il met l’accent sur l’ornemental, renverse les hiérarchies entre bon et mauvais goût, interroge la fonction de l’objet décoratif en mélangeant les genres et les styles, le profane au sacré, l’hygiène à la scatologie. Mêle la tradition belge (Ensor, Magritte…) à l’héritage américain de Warhol et de Koons.
Faits d’armes : Les cochons tatoués élevés en Chine et vendus 100 000 euros pièce l’ont rendu célèbre. Sa tour néogothique très ouvragée, qu’il agrandit à chaque placement, du Guggenheim de Venise au musée Rodin de Paris…
Projet : Faire dialoguer différents axes de son travail (Delft, les sculptures gothiques, les cochons tatoués, les torsions du Christ en croix…) avec les collections du musée Pouchkine de Moscou en 2015.
Jan Fabre, l’enfant terrible
Jan Fabre élabore son œuvre autour de la mort et du vivant, de l’apparition et de la disparition, de la métamorphose.
Photo Christian Aschman
CV : Né à Anvers, en 1958. Artiste multimédia, à la fois dessinateur, plasticien, auteur, performeur, chorégraphe, metteur en scène.
Atelier : 2 500 mètres carrés qui regroupent un théâtre 1900 et une école des années 1950, le tout revisité et ponctué d’une collection d’œuvres qui fait la part belle à la scène belge. L’espace bipartite correspond aux deux activités : la structure Angelos pour les arts plastiques et l’entité Troubleyn pour les arts vivants. Ville : Anvers, et plus exactement Seefhoek, un quartier populaire au nord de la ville, où il est né, vit et travaille encore.
Belge attitude :« Je suis un artiste belge, flamand si l’on veut, mais avant tout anversois. » Travail : Il obéit au principe de consilience (une théorie de la complémentarité des savoirs empruntée au scientifique Edward O. Wilson). Une œuvre qui s’élabore autour de la mort et du vivant, de l’apparition et de la disparition, de la métamorphose.
Faits d’armes : Le plafond de la salle des Glaces du palais royal de Bruxelles, qu’il a recouvert avec 1,4 million de carapaces de scarabée. L’Histoire des larmes, créé dans la cour d’Honneur du palais des Papes (en ouverture du Festival d’Avignon, en 2005), où les bocaux d’urine avaient scandalisé les spectateurs. Projet :Écrire deux pièces de théâtre, l’une pour Willem Dafoe, l’autre pour Isabelle Huppert.
De gauche à droite : le beau noir et blanc de Robert Mapplethorpe, la reine d'Angleterre vue par la Chine, les Ricard S.A Live Session et We Are Enfant Terrible tournent leur clip avant un tour à Rouen.
Photo Robert Mapplethorpe Foundation, Tao Lan, Ricard SA Live Music, We Are Enfant Terrible/Instagram
Des concerts gratuits, de l’étrange, du Mapplethorpe, de l’art contemporain… Les musts culturels de la semaine
Robert Mapplethorpe, au Grand Palais
Au sein du Grand Palais, le maître de la photographie en noir et blanc s’expose. Réputée parfois pour son érotisme – Mapplethorpe savait que la chair pouvait être une toile de maître –, son œuvre traverse les années 1970 pour s’achever à sa mort soudaine, trop vite arrivée en 1989. Plus de 200 images sont présentées dans cette rétrospective, comme autant d’étapes sur le chemin de la perfection esthétique. Du 26 mars au 13 juillet, Grand Palais, Galerie Sud-Est, avenue Winston Churchill, 75008 Paris. www.grandpalais.fr
Art Paris Art Fair 2014
Les galeries bourgeonnent sous la nef du Grand Palais à l’occasion de la foire d’art contemporain printanière et parisienne. 140 représentants, issus de 20 pays, vont dresser un panorama de l’art à l’heure actuelle. Cette année, la Chine est à l’honneur avec 90 artistes conviés. On ne rate pas l’Art Books Librairie Flammarion pour remplir sa bibliothèque. On peut aussi s’inscrire aux visites guidées et décryptées de la foire, pour ne rien manquer. Du 27 au 30 mars, au Grand Palais, nef, avenue Winston Churchill, 75008 Paris. www.artparis.com
Ricard S.A Live Session
Les énervés de Stuck in The Sound prennent la barre de la tournée Ricard S.A Live Session 2014. Accompagnés par Two Bunnies in Love, lauréat du prix Ricard S.A Live Music cette année, le groupe français affiche déjà complet pour sa date parisienne du 23 mars (des places sont sont toujours à gagner sur le site de l’organisateur). À Lille et à Caen, on peut toujours s’arracher des tickets pour ces événements gratuits. Le 25 mars dans un lieu secret à Paris, le 26 mars à l’Aéronef de Lille, le 27 mars au Tétris du Havre. http://ricardsa-livemusic.com
Les Pluriels, à Rouen
Le festival pluridisciplinaire s’inspire cette année de Kafka et de son chef d’œuvre, La Métamorphose. Les artistes programmés s’inscrivent tous dans un onirisme assumé, dans des sons venus d’ailleurs, dans des spectacles sans cesse mouvants… Côté musique, on attend le set de We Are Enfant Terrible. Au cinéma, La Belle et la Bête de Jean Cocteau. Après un tour à l’expo « Cabinet de curisosités », on peut aussi tenter le théâtre avec Yves Arcaix et sa poésie syntaxique ou la Compagnie DadA Noir, perdue dans ses souvenirs. Du 27 au 29 mars, dans toute la ville de Rouen. http://lespluriels2014.wix.com
En octobre 2013, la galeriste italienne Nina Yashar avait investi l’hôtel de Miramion, quai de la Tournelle. Avec ses compatriotes Gio Marconi de Milan et Balice Hertling, sis à Paris, elle y imagina un décor mélangeant design, art moderne et contemporain.
Photo Ruy Teixeira
Focus, focus sur la dernière tendance dans le monde de l’art : exposer les œuvres dans des intérieurs privés, mises en scène comme chez soi. On est loin du white cube à la new-yorkaise.
Cela ressemble à s’y méprendre à l’appartement d’un collectionneur des années 1950. Plutôt que de présenter bêtement des tableaux dans un cube blanc, le galeriste new-yorkais Helly Nahmad a reconstitué un intérieur imaginaire sur son stand de Frieze Masters, fameuse foire de Londres qui vient de s’achever. Voici, encore, un bel exemple de la dernière tendance du monde de l’art : les œuvres sortent des galeries pour être exposées « comme à la maison ». On les voit qui apparaissent dans des chambres d’hôtes (Café au lit à Belleville), dans des hôtels 5-étoiles, (La Villa à Calvi), des boutiques de décoration, des restaurants... Certains amateurs privés prêtent leur domicile pour accueillir de jeunes artistes écartés du marché. Ainsi, Isabelle et Patrice de Pontfrache. Une semaine durant, le sympathique couple déménage tout son appartement parisien proche de la Madeleine, décroche sa propre collection, donne un coup de peinture et tout ça pour faire place à œuvres sélectionnées par un commissaire d’exposition. Lequel organise à la clé discussions, conférences, signatures... Les hôtes généreux, espèrent, ainsi, offrir une visibilité à des créateurs de talent. Atmosphère amicale. Bar ouvert du lundi au dimanche.
En images
atelier de Berthe Morisot
Pour disposer son « Private choice », en 2013, Nadia Candet occupait l’ancien atelier de Berthe Morisot.
Photo Theo Baulig / Little Factorytapis de Daniel Buren
Dans la grande pièce, ancien atelier de Berthe Morisot, se déploie un tapis de Daniel Buren, pièce unique éditée par Chevalier.
Photo Theo Baulig / Little FactoryNina Yashar
Le temps d’une opération intitulée « Spot », en octobre dernier, Nina Yashar, décoratrice propriétaire de la galerie Nilufar à Milan, avait investi une demeure historique, l’Hôtel de Miramion, quai de la Tournelle. 1500 m2 ! En collaboration avec deux galeristes de ses compatriotes, Gio Marconi de Milan et Balice Hertling, sis à Paris, l’Italienne y imagina « le décor d’un amateur qui aurait collectionné toute sa vie », mélangeant design, art moderne et contemporain.
Plus audacieux encore, les collectionneurs Myriam et Amaury de Solages, expatriés en Belgique pour des raisons fiscales, ont acquis une demeure rien que pour y déployer des œuvres d’art ! C’est La Maison particulièreà Bruxelles. « Faute de place chez nous, plusieurs de nos acquisitions se trouvaient dans un garde-meuble, explique Amaury de Solages. Nous voulions en jouir. » Peu à peu, ils ont convaincu d’autres amateurs de dévoiler leurs trésors. Grâce à quoi, ils mettent sur pied trois accrochages thématiques par an. Le but ? « Partager. » On veut bien les croire. La maison est accueillante. « Alors que dans un musée on chuchote, ici, les esthètes font connaissance, échangent leurs impressions, leur savoir. Ils se sentent comme chez eux », promet le maître de séant.
À Paris, au moment de la FIAC, plusieurs manifestations artistiques se posent dans des lieux inattendus. Ainsi, « Private Choice » proposé par Nadia Candet. L’année dernière, elle occupait l’ancien atelier de Berthe Morisot, propriété de la famille Rouart, pour y récréer l’ambiance d’une maison où chaque tableau, chaque sculpture, chaque pièce de mobilier était à vendre. « Quand il s’agit d’acquérir de l’art, les Américains passent par leur décorateur, explique-t-elle. Ca m’a donné l’idée de mettre les œuvres en situation. » Des œuvres qu’elle choisit auprès de galeries d’art et design, parmi les plus fameuses.
En privé chez Georges Méliés
L’ancien atelier de Berthe Morisot a accueilli le Private choice de Nadia Candet en 2013.
Photo Theo Baulig / Little Factory
Certaines ont été réalisées sur commande, in situ. Dans la salle à manger, une table en bois brûlé de deux mètres de long du talentueux Hollandais Valentin Loellman se faisait plus que remarquer. Elle avait été fabriquée sur mesure. On y avait dressé un couvert : vaisselle de Bernardaud dessinée par Sophie Calle, verres en cristal de Baccarat conçus par Patricia Urquiola… Le visiteur arpentait cet ancien atelier, liste de prix à la main. « Les foires se font de plus en plus nombreuses, remarque Nadia Candet. Les acheteurs potentiels ne savent pas toujours dans quelle direction s’orienter. Nous leur offrons une présélection, nous les prenons par la main. Pour peu qu’ils fassent confiance à notre œil, ils nous suivent ». À l’évidence, ils l’ont suivie. La dame renouvelle l’expérience « Private choice » dans quelques jours, mais cette fois dans les lieux qu’habitait le cinéaste Georges Méliés.
Pendant ce temps, dans un autre coin de Paris, l’année dernière toujours, Nina Yashar, décoratrice propriétaire de la galerie Nilufar à Milan, avait investi une demeure historique, quai de la Tournelle. La chaleureuse Milanaise expliquait : « Les stands des salons me paraissent toujours trop exigus, je suis frustrée. Il me faut de l’espace pour m’exprimer ! » A l’Hôtel de Miramion, elle s’en donna à cœur joie et aménagea chaque pièce de cette architecture du XVIIe siècle. 1500 m2 ! Associée à deux galeristes de ses compatriotes, Gio Marconi de Milan et Balice Hertling, sis à Paris, elle y mêlait avec élégance art plastique et design. « Des objets mis en scène permettent aux visiteurs de mieux se projeter dans leur propre univers », assure la professionnelle.
« À présenter la création contemporaine dans un décor quotidien, il se crée une intimité qui rassure les amateurs », enchérit Laurence Dreyfus, qui monte une exposition annuelle intitulée « Chambres à part », laquelle prend place à La Réserve, un hôtel-appartement, place du Trocadéro. L’automne dernier, au coin de l’Avenue d’Eylau, les badauds avaient pu voir s’agiter, gesticuler plusieurs individus autour d’une caisse en provenance de Berlin. On avait dû déballer une délicate suspension lumineuse d’Olafur Eliasson directement sur le trottoir. L’emballage ne passait pas la porte de l’hôtel !
Interventions en Austin Mini
La commissaire Laurence Dreyfus surveille l’arrivée de l’œuvre de Olafur Eliasson en provenance de Berlin, qui ne passe pas par l'entrée de l'hôtel La Réserve, près de la place du Trocadéro. (Paris, octobre 2013.)
Photo Roberto Frankenberg
Il faut le rappeler, Laurence Dreyfus fut la première à exposer des œuvres d’art plastique dans des appartements, il y a une décade. Aussi, laissons-lui la parole. « Après avoir travaillé cinq ans dans une galerie, je savais que je ne voulais ni de la lourdeur d’une équipe, ni de la régularité d’une programmation obligée. Lorsque j’ai débuté, la réglementation quant aux maisons de ventes aux enchères se libérait, le marché allait devenir plus concurrentiel. J’avais le sentiment qu’il fallait inventer des événements, être flexible, libre de voyager pour se rapprocher des collectionneurs, découvrir des artistes émergents. Il est vrai qu’à l’époque, je n’avais ni mari, ni enfants ! ». Pour être mobile, elle fut mobile… En 1997, Laurence Dreyfus présentait de l’art dans sa voiture ! Une Austin de couleur verte sur laquelle une quarantaine des plasticiens intervenaient en alternance - dont Patrice Jouin qui posa un carré de pelouse sur le toit. Ne souriez pas : le FRAC-Lorraine acquit le véhicule.
L’heure, aujourd’hui, n’est plus à la rigolade. Laurence Dreyfus, sous le titre d’« art advisor », conseille des collectionneurs dans l’achat d’œuvres cotées ou en passe de l’être. Ses « Chambres à part » font partie des rendez-vous inscrits sur le parcours des VIP de la FIAC. Quelle aventure ! Pensez que les lieux qu’elle occupe, des hôtel- résidences, ne sont pas conçus pour le montage de sculptures, d’installations, de photographies, de peintures… Voilà qui n’arrête pas Laurence, petit bout de femme, énergique. Elle est capable de déplacer des montagnes. Elle dispose des dessins à même les lits. Elle diffuse de l’art vidéo jusque dans la salle de bain - bonne idée pour se distraire pendant le brossage des dents ! L’accrochage doit s’effectuer en quelques heures. L’ambiance est survoltée. Ajoutez à ça la sensibilité et le narcissisme des plasticiens… Celui-ci qui se lamente à la vue des prises électriques gâchant la vision de son chef d’œuvre. Celle-là qui juge trop présents les rideaux autour de son tableau monochrome. « Entre art et décoration, il faut trouver la bonne mesure ». Allons ! Les efforts seront récompensés. Dès le soir du vernissage, la sculpture d’Olafur Eliasson, celle qui avait eu tant de difficulté à entrer, était vendue ! Ouf !
Galeries "en chambre"
Sculpture en aluminium de Ernesto Neto, The Dance of the time, 2008 et, au-dessus du canapé, « dessin érotique », pastel sur papier, de Tunga, présentés à La Réserve par Laurence Dreyfus.
Photo Roberto Frankenberg
Ce concept, répandu chez les Anglo-saxons, semble se développer ici. Permettrait-il, en période de crise, de réduire les frais ? Là n’est pas la seule raison. Au contraire. Un lieu privé est le comble du chic. On n’y vient pas par hasard. Le visiteur est bien disposé. Aucun risque d’être dérangé par les badauds de passage et leurs questions candides. Ambiance feutrée. Confidentialité assurée. Le client se sent privilégié. « J’ai un téléphone, Internet, un carnet d’adresses, ça me suffit », note François Sage, lequel officie en étage dans un immeuble cossu du VIIe arrondissement. Parquet grinçant et vue sur la Tour Eiffel.
Après une carrière d’avocat, défenseur de la propriété industrielle, celui-ci s’est lancé dans le négoce d’œuvres d’art. En dix ans, il est devenu l’un des marchands les plus réputés de photographie ancienne et moderne. « Je n’ai nul besoin d’une vitrine pour vendre une épreuve historique de William Fox Talbot à un musée », insiste-t-il. Il travaille donc en appartement, au rythme de quatre vernissages par an et la participation à deux salons importants, celui de Bâle et Paris-Photo. Ses deux bains de foule annuels à la suite desquels il aspire à rejoindre sa thébaïde.
Quelques expositions à ne pas rater
« Chambres à part IX » de Laurence Dreyfus.
La Réserve, 75116 Paris. Jusqu'au 26 octobre, visite sur réservation : chambreapart@laurencedreyfus.com
« Private choice »
Présentation éphémère organisée par Nadia Candet, art et design contemporains. 75003 Paris. Jusqu'au 26 octobre. www.privatechoice.fr
« Appartement »
Bertand Lavier s’expose dans un loft du Xe arrondissement. « Silence ». Du 24 octobre au 1er novembre. www.appartement-27bis.com
Maison particulière
Exposition « La Joie de vivre ». À travers les regards de trois collectionneurs italiens, Bruxelles. Jusqu’au 21 décembre, www.maisonparticuliere.be
Ouvrir un dialogue entre le public et les artistes : tel est l'objectif de la Fondation Louis Vuitton qui ouvrira ses portes aux visiteurs le 27 octobre.
Photo Todd Berle pour la Fondation Louis Vuitton
En lisière du bois de Boulogne, l’édifice onirique voulu par Bernard Arnault et réalisé par Frank Gehry attend ses premiers visiteurs. Une prouesse architecturale dédiée à la création artistique contemporaine. Visite en avant-première avant l'inauguration du « vaisseau » ce lundi.
Mon premier ressemble à un nuage, mon deuxième déploie ses voiles, mon troisième pourrait s’envoler, et mon tout est… la Fondation Louis Vuitton. En la réalisant, Frank Gehry, un génie de l’architecture internationale (prix Pritzker 1989), signe l’un des premiers chefs-d’œuvre de l’architecture du XXIe siècle, dans lequel il combine avec éclat, puissance, élégance et poésie. L’ouverture est prévue le 27 octobre. Entre-temps, trois jours de visites gratuites seront proposés aux visiteurs sur réservation via le site Internet de la Fondation Louis Vuitton. Bernard Arnault, pdg de LVMH, souhaitait « un espace qui ouvre le dialogue entre le public et les artistes ». Passionné d’architecture, il a confié l’immeuble Dior au Japon à Kazuyo Sejima, et la LVMH Tower de New York à Christian de Portzamparc. En choisissant Gehry pour la Fondation Louis Vuitton, il fait « le pari de l’audace et de l’émotion ». L’édifice de plus de 10 000 m² ne passe pas inaperçu… Et pourtant, la partie centrale, en béton blanc, surnommée « l’iceberg », posée sur un bassin créé de toutes pièces, comme l’est le bois de Boulogne, s’inscrit harmonieusement dans l’environnement, jouant des effets de miroir entre le ciel et l’eau… « Mon but est d’humaniser l’architecture », dit Frank Gehry, qui connaît bien la France. Il a imaginé une architecture de verre inspirée par le Grand Palais et le Palmarium du Jardin d’Acclimatation.
En images
fondation Louis Vuitton
Magie de la création. Réalisé grâce à des prodiges d'innovation technologique, le bâtiment, dont la silhouette se fond naturellement dans son environnement, recevra des collections de la Fondation, une partie des collections de Bernard Arnault ainsi que des expositions temporaires.
Photo Todd Berle pour la Fondation Louis Vuittonfondation Louis Vuitton
Oiseau de verre. L'édifice compte 12500m2 de verrière formés de 3600 panneaux moulés sur mesure.
Photo Todd Berle pour la Fondation Louis Vuittonfondation Louis Vuitton
Par des procédés techniques ingénieux, l'ensemble des espaces sont modulables en fonction des besoins.
Photo Todd Berle pour la Fondation Louis Vuittonfondation Louis Vuitton
Réflexions. Les effets de miroir entre le ciel et l'eau sont omniprésents. Posée sur un bassin spécialement créé pour le projet, la partie centrale est surnommée "l'iceberg".
À l'allure d'un voilier ou d'un oiseau de verre, l'édifice compte 12500m2 de verrière formés de 3600 panneaux moulés sur mesure.
Photo Todd Berle pour la Fondation Louis Vuitton
C’est en déambulant au cœur du bâtiment qu’on en expérimente la beauté renversante. On découvre Paris autrement. Dépaysement assuré, dans le décalage du regard sur les alentours. La tour Eiffel se trouve au loin, le bois de Boulogne s’étend devant. « Il s’établit un rapport entre le bâtiment et la nature, comme à Chambord, entre l’eau, la forêt et le ciel », explique Jean-Paul Claverie, conseiller de Bernard Arnault depuis les années 1990. « Lorsque les fougères et les érables auront poussé sur les terrasses intérieures, on verra à quel point la nature dialogue d’une façon singulière avec l’architecture. » De l’autre côté, il y a un point de vue splendide sur la Défense. Les tours sont encadrées par les structures en bois et en verre. Et la magie surgit. Un paysage qu’on croyait banal se révèle.
De l’utopie à la prouesse technologique
Deux expositions, l’une sur son œuvre, au Centre Pompidou, l’autre sur cette réalisation, à la Fondation Louis Vuitton dès son ouverture, permettent d’en comprendre la genèse. De la ténacité et de la patience, il en a fallu. Yves Carcelle, pdg emblématique de Louis Vuitton, aujourd’hui disparu, fut le vice-président de la Fondation Louis Vuitton, pour laquelle il a beaucoup œuvré. Cette fondation est l’une des plus grandes fondations d’entreprise privée en Europe, grâce à l’engagement du mécénat du groupe LVMH .Elle s’inscrit dans l’héritage d’une longue relation avec les créateurs. En 2002, Frank Gehry visitait les lieux et commençait à dessiner les premiers croquis. « Une utopie totale ! Il a tout fallu inventer pour réaliser l’irréalisable », avoue Jean-Paul Claverie. Bernard Arnault demande à plus de cent ingénieurs de mettre leurs talents au service du désir de l’architecte. Ce qui fut fait, avec le soutien de Dassault Systèmes.
Structure modulable
Huit années ont fallu pour que le projet de la Fondation Louis Vuitton voit le jour.
Photo Todd Berle pour la Fondation Louis Vuitton
Trente brevets d’innovations technologiques ont été déposés. Les 12.500 m² de verrière sont constitués de 3 600 panneaux uniques moulés sur mesure, ce qui constitue en soi un façonnage révolutionnaire. Frank Gehry a intégré les problématiques du XXIe siècle pour respecter l’environnement. « Plus personne ne construira comme si cette création n’existait pas. » En 2006, le projet est lancé. En 2008, la première pierre posée. En 2014, la Fondation Louis Vuitton ouvre. Un seul mot d’ordre, l’intérêt général. Avec à l’esprit, « la volonté de faire comprendre à un large public des œuvres pérennes et des expositions d’art contemporain, qui seront présentées dans des filiations esthétiques avec l’art du XXe siècle ou des siècles précédents ». Selon l’idée qu’on est d’autant plus créatif qu’on connaît mieux son patrimoine.
Ce que Jean-Paul Claverie résume d’une formule : « Bien posséder son passé, c’est vivre le présent pour gagner son futur. » Murs droits, plafonds d’équerre, puits de lumière naturelle pour douze salles de tailles différentes constituent autant de white cubesà la disposition des artistes. Tout est conçu pour être flexible, comme autant d’hypothèses, y compris l’auditorium, lui aussi modulable. « Dans un premier temps, explique Bernard Arnault, nous allons exposer des collections qui appartiennent déjà à la Fondation, une partie de mes collections, et puis nous aurons aussi des expositions temporaires ». Il annonce aussi « la création d’une œuvre permanente d’Olafur Eliasson. Une exposition le concernant lui sera ensuite consacrée ». Mais silence… Suzanne Pagé et son équipe travaillent dans le plus grand secret. Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, 75116 Paris. www.fondationlouisvuitton.fr
L’Institut du monde arabe expose les œuvres engagées, libertaires, drôles et foisonnantes de la jeune scène artistique du Maroc.
Le Printemps arabe a bien eu lieu au Maroc… mais il y a vingt ans ! Le roi Hassan II avait anticipé le mouvement dès les années 1990. Avant même l’accession de son fils, le roi Mohammed VI en 1999, il avait préparé des mesures de libéralisation de la société qui ont donné naissance, dix ans plus tard, à une sorte de movida marocaine, appelée la « nayda » (réveil). La scène culturelle en a été électrisée dans tous les domaines. Un conseil consultatif des droits de l’homme a vu le jour en 1990, ce qui a permis de délier les langues sur les années sombres du régime. Le code de la famille, dit Moudawana, amendé en 1993, et révisé par le Parlement en 2004, a été promulgué dans la foulée par Mohammed VI. Il améliore la condition des femmes, même si tout n’est pas gagné sur le terrain… Et depuis 2011, un point essentiel de la nouvelle Constitution stipule que le Maroc est formé d’influences diverses, pas seulement arabo-islamique, mais berbère, africaine, andalouse, juive et méditerranéenne. Ce qui ouvre considérablement le spectre de la liberté d’expression, qui n’est plus réduite à sa seule arabité.
Le centre d’art de Mohamed Mourabiti, à Marrakech, accueille des artistes en résidence.
Photo Patricia Boyer de Latour
Les enfants de la « nayda » sont aujourd’hui les acteurs de cette vitalité artistique. Ils sont exposés à l’Institut du monde arabe (IMA) jusqu’au 25 janvier. Ces artistes sont partout, et pas seulement dans les galeries casablancaises qui ont pignon sur rue, comme le Loft, créé par les sœurs Berrada. Ils investissent des lieux alternatifs tels les Abattoirs de Casa, ou les Instituts français très actifs dans toutes les grandes villes du Maroc. Des organismes privés comme la Fondation Alliances proposent à Marrakech un parcours de golf jalonné d’œuvres internationales. Des artistes comme Hassan Darsi et son installation La Jetée en or y traitent notamment de l’aveuglement des hommes… Des résidences accueillent des artistes du monde entier. Ainsi celle du centre d’art imaginé autour de personnalités reconnues comme Mahi Binebine et Mohamed Mourabiti, à Marrakech, ou celle de Dar al-Ma’mûn, non loin de là. Une foire d’art contemporain a eu lieu à Marrakech, une biennale s’y prépare pour février 2015.
Diptyc, revue d’art contemporain qui n’a rien à envier à ses homologues européennes, rend compte de l’actualité internationale. La société civile, en avance sur les pouvoirs publics, a déjà ses collectionneurs et ses amateurs, jusqu’au plus haut niveau de l’État. Nawal Slaoui, fondatrice de Cultures Interface, a même le sentiment d’avoir été trop en avance. Lorsqu’elle était galeriste dans les années 1990, les œuvres qu’elle repérait ne se vendaient pas. Aujourd’hui, le premier musée d’art contemporain marocain vient d’être inauguré à Rabat par le roi en personne. Un musée d’art africain contemporain, le Macaal, est également en projet à Marrakech sous l’égide de la Fondation Alliances.
L'effervescence de la jeunesse
Pour imaginer l’exposition « Maroc contemporain »à l’IMA, Jean-Hubert Martin, commissaire légendaire des « Magiciens de la terre », a sillonné le pays avec Moulim El Aroussi, son alter ego marocain. Du nord au sud, en passant par l’Atlas et jusqu’aux confins de l’oriental, ils sont « allés à l’aventure, loin des circuits officiels, (…) avec l’idée de n’exposer que des artistes vivants ».
Ce qu’ils ont découvert est stupéfiant. Au final, 400 œuvres de 80 artistes (sur les 300 approchés) ont été retenues pour l’exposition. Un tiers des intervenants appartient à la diaspora et se partage entre le Maroc et l’étranger, à l’image du consacré Mounir Fatmi, né à Tanger en 1970. 40 % ont moins de 40 ans, 25% sont des femmes, la plus jeune, Imane Djamil, a 18 ans. Elle est emblématique d’une génération où l’espoir reste tangible malgré les difficultés. « Je vois la beauté partout, dit la jeune femme, ma vision est optimiste, j’essaie de ne jamais être triste à la vue d’une scène de désolation. » Dans Collapsed Buiding, elle se photographie enfoncée dans un matelas dont ne sortent que ses deux (jolies) jambes…
En images
Zahra Zouiai, Younès Rahmoun, 2010 IMA
Zahra Zouiai, Younès Rahmoun, 2010.
Photo presse IMASans titre, Yasmina Ziyat, 2013 ima
Sans titre, Yasmina Ziyat, 2013.
Photo Hassan NadimV12 Laraki , Eric Van Hove, 2013 IMA
Une œuvre de Farid Belkahia présentée devant son atelier à Marrakech.
Photo Patricia Boyer de Latour
Ces artistes émergents occupent le devant de la scène. Ils ne viennent pas de rien, comme le soulignent Jean-Hubert Martin et Moulim El Aroussi. « La modernité s’est développée de manière créative au Maroc dès les années 1960 avec ses pionniers : Farid Belkahia (récemment disparu) a redécouvert les signes berbères ; Mohamed Melehi s’est emparé de l’abstraction pour y apporter une dimension orientale tout en courbes ; Abdelkébir Rabi, maître de la lumière et des ombres, a créé une œuvre comparable à celle d’un Pierre Soulages ; El Khalil El Gherib, iconoclaste pourfendeur du marché de l’art, le provoque encore en ne vendant jamais une œuvre. » Les années 1980 ont vu la réorganisation des Écoles d’art de Casablanca, Rabat et Tétouan. Ces dernières ont « refondé l’enseignement artistique en profondeur », tout en multipliant les échanges avec d’autres écoles, en particulier en France. Beaucoup d’artistes qui comptent en sont issus.
Tous sont conscients que la civilisation marocaine s’inscrit dans une longue histoire. En témoigne d’ailleurs la sublime exposition, « Le Maroc médiéval », au Louvre, pour prendre la mesure de son rayonnement sous les dynasties almohade, almoravide et mérinide, du XIe au XVe siècle. Aujourd’hui, dans le royaume chérifien, cet intérêt pour les arts se renouvelle. Rares sont les pays qui sont encore capables de bénéficier du savoir-faire d’artisans de qualité. C’est aussi sur ce terreau d’excellence que naissent les jeunes pousses de l’art, y compris le plus conceptuel. Marocains ou étrangers comme Eric Van Hove, tous en font un usage novateur. Ainsi ce moteur V12 Laraki Mercedes reconstruit à l’identique par des artisans marrakchis en matériaux précieux qui interroge notre rapport à la société de consommation. Sans faire tabula rasa, des ruptures sont consciemment consenties avec la tradition, qui interrogent l’avenir du pays.
Les tabous sont tombés
L'installation La Jetée en or, de Hassan Darsi, traite de l’aveuglement des hommes.
Photo Patricia Boyer de Latour
Des thèmes récurrents reviennent dans les préoccupations des plus jeunes. Celui des migrants travaille l’imaginaire de plusieurs d’entre eux. Comme Leila Alaoui, photographe de 32 ans, qui vient de réaliser une vidéo poignante sur les subsahariens en perpétuelle partance et toujours bloqués au Maroc dans des situations dramatiques. Ou Abderrazzak Benyakhlef, qui exprime leur tragédie sur des toiles expressionnistes, comme son triptyque Harragas, les crucifiés du désespoir. Les femmes sont à l’avant-garde des questions d’engagement social et politique qui traversent la société. Elles sont nombreuses à se mettre en danger en exposant leurs corps souffrants ou bagarreurs, quelquefois les deux en même temps. À l’image de Fatima Mazmouz qui se met en scène en Super Oum (super mère), enceinte, cagoulée en position de combat, ou Nadia Bensallam qui se promène dans Marrakech en « demi-tchador » dévoilant ses jambes, ou encore la performeuse Bouchra Ouizguen qui fait danser des femmes au physique fatigué, mais fortes d’une liberté à reconquérir. D’autres expriment leur violemment le rejet du sort qui leur est fait, sous le filtre des travaux dits féminins, telles Safaa Erruas ou Yasmina Ziyat, qui griffent et font saigner leurs compositions.
Imazighen, les hommes libres
Rebelles, les artistes le sont dans tous les domaines, y compris celui de la religion. Ils montrent sans fard l’emprise des institutions religieuses. Mehdi-Georges Lahlou porte le poids de la Kaaba sur la tête. M’barek Bouhchichi propose un compas dont l’une des branches est un minaret renversé de mosquée… À l’opposé de cette attitude, Younès Rahmoun s’inspire du soufisme, cette branche éclairée de l’islam, qui privilégie des relations harmonieuses entre le divin et soi, entre soi et les autres. Zahra Zoulaj, installation de 77 lustres de verre coloré symbolisant les 77 branches de la foi musulmane en est l’illustration. Pixylone, le premier collectif d’art numérique, développe une recherche qui mêle questionnements sur la société et spiritualité. Le 9oua-lab présente une pyramide de pains de sucre, symboles de prospérité offerts lors des mariages, qui se transforment en missiles dans un enchaînement programmé d’images virtuelles.
Parler de tout sauf du roi
Beaucoup de tabous sont tombés. Sur l’identité. Sur le corps. Sur la religion. Sur la société. On peut parler de tout, ou presque. Une seule limite : ne pas attaquer la personne du roi. Les normes sont intégrées, l’autocensure peut encore fonctionner, mais il n’en demeure pas moins qu’un vent de liberté flotte sur le royaume. Une forme de fantaisie, une certaine dérision emportent beaucoup de prudences. La figure de l’âne, si présente dans l’imaginaire marocain, permet de plaisanter de tout. Il entre dans les intérieurs bourgeois, on l’accueille comme un invité dans les compositions de Hicham Benohoud, alors que c’est d’abord une bête de somme, malmenée et méprisée… L’individu est réduit à n’être qu’un bonhomme de glace qui fond sur le Ring de la soumission d’Amine El Gotaibi.
Quant au rôle des femmes que l’actuel premier ministre islamiste a cru bon de célébrer comme « le lustre de la maison », Amina Benbouchta, malheureusement absente de l’exposition, s’en était moquée, avant même qu’il ne lance cette formule maladroite, en se photographiant en caftan traditionnel dans son salon… avec un abat-jour sur la tête ! Les artistes du royaume ont souvent un humour ravageur qui les sauve de tout. Si l’on ajoute à cela l’internationalisation née de la globalisation du monde par Internet et les réseaux sociaux, le Maroc est entré de plein pied dans un monde connecté et multiforme. C’est à cette effervescence jubilatoire, iconoclaste, originale et inventive, qu’on assiste en visitant l’exposition « Le Maroc contemporain » à l’IMA. En attendant qu’elle puisse être vue par les Marocains eux-mêmes au Musée d’art contemporain de Rabat ?
Cinq jeunes pousses à suivre
Bouchra Ouizguen, magicienne des corps
La performeuse et chorégraphe Bouchra Ouizguen.
Photo Patricia Boyer de Latour
Performeuse et chorégraphe née en 1980 à Ouarzazate, Bouchra Ouizguen vit et travaille à Marrakech. Formée à l’école de Mathilde Monnier, elle reçoit en 2010 le prix de la révélation chorégraphique de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) avec Madame Plaza. Elle interroge les représentations de la féminité et de la liberté. Avec des danseuses issues de la tradition populaire, elle met en scène des corps de femmes hors normes qui transgressent l’ordre machiste et familial. Œuvre : Dans l’exposition sur « Le Maroc contemporain », on peut voir une vidéo de Ha !, spectacle fondé sur le souffle et la répétition, qui sera aussi présenté en live dans le cadre de la programmation de l’IMA, tandis que Madame Plaza sera au Louvre les 17 et 18 décembre prochains. Ha ! est la réappropriation par les femmes d’un rituel et de chants masculins. Ces pratiques continuent à se dérouler pendant les moussems (rassemblement de tribus à l’occasion de fêtes). S’inspirant des quatrains de Rûmi, poète mystique à l’origine des derviches tourneurs, Ha ! explore la folie. Singularité : « Faire parler les corps, travailler la liberté, la musicalité et le rythme. »
Eric Van Hove, voyageur de l’art
Le Belge installé au Maroc, Eric Van Hove, devant l'IMA.
Photo Patricia Boyer de Latour
De son nom complet Eric Van Hove Marsan de Mondragon, cet artiste est né en 1975 à Guelma en Algérie. Diplômé de l’Ecole de recherche graphique à Bruxelles, il est aussi docteur ès lettres de l’Université des arts de Tokyo. Après avoir parcouru le monde entier, il vit aujourd’hui au sud-est de Marrakech, et peut être considéré comme un artiste de la scène marocaine à part entière. Plasticien pluridisciplinaire et poète, il oppose à l’eurocentrisme prédominant dans le milieu de l’art contemporain, une approche spirituelle et décentralisée. Il réfléchit aussi au statut de l’artiste dans la société et à son rapport aux artisans. Œuvre :V12 Laraki, sa dernière production, est la reconstitution à l’échelle des 465 pièces d’un moteur Mercedes qui devait équiper la Fulgura, une voiture de sport qui aurait dû être construite au Maroc. Ce projet n’a pas vu le jour. Eric Van Hove a eu l’idée de faire construire ce moteur avec des matériaux précieux, dont 3 types de bois, des métaux, de l’os de chameau, etc. par des artisans de Marrakech, qu’il salarie, lui-même orchestrant le projet. Une sculpture étrange constitue le résultat de cette épopée inutile à l’industrie automobile, mais nécessaire à la reconnaissance du savoir-faire de 70 corps de métiers… et à l’art. C’est la réussite d’une expérimentation en train de se faire in situ. Singularité : « Opérer des décentrements dans le monde de l’art. »
M’barek Bouhchichi, artiste charismatique
M’barek Bouhchichi présente le « Compas » à l'IMA.
Photo Patricia Boyer de Latour
Plasticien multimédia, né en 1975 à Akka dans le grand sud marocain, M’barek Bouhchichi fédère autour de lui les talents, tout en enseignant les arts plastiques à Tiznit. Sa générosité l’incite à mettre en valeur les élèves qu’il a formés et son désir de transmettre entre en résonance avec sa personnalité d’artiste. Au confluent de plusieurs cultures, africaine, berbère et arabe, cet artiste marocain a beaucoup travaillé sur la terre, l’identité et les appartenances. Œuvre : Longtemps fasciné par la beauté minérale du grand sud saharien, son travail évolue vers des projets plus conceptuels. Il imagine des objets imaginaires, comme le Compas dont l’une des branches est un minaret de mosquée renversé ou La machine à libérer l’homme noir, sorte de composition énigmatique en caoutchouc blanc qui incite à la réflexion. Une vidéo intitulée Moule filme les mains d’une femme aux doigts vernis qui arrache de manière répétitive la même excroissance des fruits de mer qu’elle décortique… Rien n’est dit, tout est dans l’allusion. « Cette vidéo pose plus de questions qu’elle n’y répond …» Libre à chacun d’interpréter. Singularité : « Mon bled est un chantier. »
Nadia Bensallam, pétroleuse de l’art
La dessinatrice Nadia Bensallam.
Photo Patricia Boyer de Latour
Dessinatrice exceptionnelle, cette jeune artiste née en 1991 à Tiznit, au sud du Maroc, est aussi vidéaste et performeuse. Passionnée par les dessins animés et la BD, elle s’intéresse aussi aux jeux vidéo et aux mangas qui l’inspirent depuis son plus jeune âge. Elle fait partie du groupe de l’Ecole de Tiznit, constitué autour de M’barek Bouhchichi, qui fut son professeur. Œuvre : Sa dernière série de dessins au Posca (une technique à base de pigments indélébiles qui s’apparente à l’encre de Chine) traite des relations ambiguës entre hommes et femmes. « Je crée des personnages en noir et blanc avec un minimum de traits » explique-t-elle. Sold your soul, Liaisons dangereuses et Destiny sont autant de représentations inventives, humoristiques et cruelles de la guerre des sexes. Elle met en scène des couples monstrueux formés de chimères : une femme serpent qui embrasse un homme en le piquant, un visage féminin surmonté d’une tête d’oiseau prédateur. Elle pointe de son stylo acéré l’abîme qui les sépare ou les acoquine. Lors d’une vidéo, 2m45 à Marrakech (2011), elle se promène seule dans la rue, affublée d’un « demi tchador » qui lui arrive aux genoux, escarpins aux pieds et sac à main. « Si je me promenais à Marrakech en minijupe, il n’y aurait aucune réaction. » Dans cet accoutrement, les insultes de la part des femmes qui la croisent sont violentes. Elles crient au blasphème. Les jeunes hommes, interloqués et incrédules, se retournent sur elle ou lui demandent une cigarette. Singularité : « Dévoiler l’envers de la société ».
Yasmine Ziyat, une petite-fille de Louise Bourgeois
Yasmine Ziyat, enfant du désert.
Photo Patricia Boyer de Latour
Née en 1983 à Laâyoune aux portes du Sahara, Yasmine Ziyat travaille à Kénitra. Diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Tétouan, elle est venue en résidence à la Cité Internationale des arts de Paris en 2011. Elle collecte des matériaux usés, boutons de caftan, chutes de tissus, morceaux de fils électrique, pierres d’alun… Et explore les potentialités de la matière sur fond de collants féminins. Œuvre : Devant ses petits assemblages monochromes en 3D qu’elle encadre comme des tableaux, on ne peut s’empêcher de penser à Louise Bourgeois, dont elle a le sadisme presque inconscient. Comme elle, elle insiste sur l’absence du père. Comme elle, elle affirme son identité rebelle, à sa façon à elle, en portant un voile ! Certes coloré, gracieux, mais strict. Dans le silence de la nuit, cette jeune femme au visage très doux déchire, triture, brûle les étoffes traditionnelles et précieuses qu’elle chine le jour. Son travail de Pénélope musulmane produit des œuvres arachnéennes où une violence à peine voilée s’exprime, l’air de rien. Singularité : « Faire crier le tissu ».
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On le surnomme aussi « l’homme invisible ». Avec ses photographies-performances, ce plasticien chinois se fond dans le décor. À l’origine utilisé pour dénoncer la répression, son art du camouflage lui vaut une reconnaissance internationale.
Pour Guerlain, Liu Bolin se cache, avec sa femme, parmi une centaine de roses et 150 flacons de la Petite Robe Noire.
Photo Liu Bolin Courtesy Galerie Paris Beijing
Où est-il ? On cherche à le débusquer. L’artiste Liu Bolin se fond dans le paysage, parce qu’il est peint de la tête aux pieds aux couleurs du décor. À travers des photos-performances, il se camoufle dans un kiosque à journaux, parmi les étalages d’une pharmacie, dans un champ de blé dévasté par une usine… Immobile, invisible.
Sachez-le, cependant, le Chinois, 42 ans, est bel homme, grand, 1,80 mètre au moins, il a un sourire rayonnant. Nous l’avons rencontré alors qu’il est venu inaugurer une exposition à la Galerie Paris-Beijing, qui le défend ici comme en Chine (1). La présentation rassemble ses dernières créations inédites, des sculptures monumentales, des vidéos montrant la fabrication spectaculaire de ses performances. Le plasticien affine son art depuis vingt ans. Issu d’un milieu modeste, Liu Bolin se fait remarquer dès le collège pour ses dons pour le dessin. Malgré la réprobation de son père, qui juge les études artistiques réservées aux mauvais élèves, il s’inscrit à l’université du Shandong, où il se forme à la sculpture, avant d’y enseigner.
Arrive 2005. Pékin se prépare pour les Jeux olympiques. La campagne d’urbanisation est violente. Dans la banlieue, le quartier de Suo Jia Cun, qui abrite une centaine d’ateliers d’artistes, dont le sien, passe sous les bulldozers. Qu’importent les individus pour le Parti ! Afin de protester, Liu Bolin a l’idée de se recouvrir de peinture pour se confondre avec les ruines et de s’y faire photographier. Ce sont les prémices de sa série Hiding in the City (« Se cacher dans la ville »), dans laquelle il dénonce la société chinoise, l’absence de liberté, la censure, la mauvaise qualité des biens manufacturés, la nourriture frelatée, le déséquilibre des richesses. Ironie, ses œuvres, exprimant les dangers que court l’environnement, sont bientôt récupérées par les instances gouvernementales et diffusées à des fins de propagande en faveur de la planète ! Liu Bolin, le contestataire, est rattrapé par le succès.
À l’occasion de la Saint-Valentin, Guerlain lui a commandé une image gigantesque où l’épouse du plasticien, Sun Cheng - qui gère sa carrière -, pose avec lui, pour la première fois, au milieu de flacons et de roses (2). Entre le parfum et Liu Bolin, il y a un lien : l’évanescence.
(1) Liu Bolin : photographies, sculptures et installations, Galerie Paris-Beijing. 62, rue de Turbigo, 75003 Paris. Du 19 mars au 2 mai. www.galerieparisbeijing.com
(2) L’œuvre est présentée dans la boutique Guerlain. 68, avenue des Champs-Élysées, 75008 Paris, jusqu’au 15 avril.
En images
Liu Bolin
Cherchez bien. L’artiste est là, sur le plateau de télévision. C’est sa manière de dénoncer la propagande diffusée par les médias et de réclamer le droit de penser par soi-même.
Photo Liu BolinLiu Bolin
Performances. Les rayons d’une pharmacie, à Paris ; une palissade chargée de graffitis, à Bruxelles. Tantôt le plasticien intervient dans la ville, tantôt il reconstitue un décor en studio. Pour garder la trace de la performance, ses assistants prennent une photographie. L’image peut être tirée à huit exemplaires, et en trois formats différents.
Photo Liu BolinLiu Bolin
Performances. Les rayons d’une pharmacie, à Paris ; une palissade chargée de graffitis, à Bruxelles. Tantôt le plasticien intervient dans la ville, tantôt il reconstitue un décor en studio. Pour garder la trace de la performance, ses assistants prennent une photographie. L’image peut être tirée à huit exemplaires, et en trois formats différents.
Photo Liu BolinLiu Bolin
Attention peinture fraîche ! Spectaculaire, cette performance intitulée Meat est réalisée dans une chambre froide à Paris, en 2013. Elle dit l’inquiétude de l’artiste quant aux dangers de l’industrie alimentaire mondiale, et particulièrement dans son pays, où la chaîne du froid n’est pas respectée et la nourriture parfois frelatée.
Le visage des sœurs Kardashian a été passé au crible par l'artiste du Moyen-Orient Saint Hoax. (Miami, le 12 mars 2014.)
Photo Getty Images
L'artiste Saint Hoax a réalisé et publié sur son compte Instagram de petites vidéos retraçant l'évolution chirurgicale des sœurs Kardashian. Une manière d'interroger le public sur ces stars qui prônent, paradoxalement, une forme de beauté naturelle.
Originaire du Moyen-Orient, Saint Hoax est un « artiste politiquement incorrect et un activiste sociopolitique », comme il se décrit lui même sur ses comptes Instagram, Facebook ou Twitter. Connu pour ses détournements des princesses et princes de l'imaginaire Disney pour dénoncer les violences domestiques faites aux femmes et l'inceste, cet artiste 2.0 s'empare également des icônes de la pop culture ou de fortes figures politiques pour mettre en avant, avec cynisme et second degré, des phénomènes de société.
Des beautés naturelles ?
Après Barack Obama, la reine d'Angleterre, Britney Spears et Lindsay Lohan, Saint Hoax s'est donc intéressé à la dynastie Kardashian. Cet Andy Warhol du numérique a réalisé plusieurs petites vidéos retraçant l'évolution physique de Kim et de ses sœurs. Avec, à chaque fois, la même légende : « Peut-être qu'elle est née comme ça... Peut-être que c'est de la chirurgie. »
En quelques secondes et au moyen de manipulations numériques, Kim, Khloe, Kylie ou Kendall retrouvent leur visage d'antan. Des lèvres moins pulpeuses, un visage plus carré ou des paupières tombantes, Saint Hoax révèle l'incroyable évolution physique de cette famille abonnée à la table d'opération et au bistouri. Une manière de critiquer le discours hypocrite de ces personnalités qui prônent, paradoxalement, la beauté naturelle.
On se souvient des images de Kim Kardashian, garanties sans filtres et sans fards, pour le Vogue espagnol ou de celles de sa soeur Khloe, qui avait partagé cet été sur son compte Instagram une photo non-retouchée de sa cover story pour le magazine Complex. Un geste qu'elle justifiait par sa volonté de faire taire les haters, qui l'accusaient d'avoir photoshopé son corps de manière excessive. Bipolaires, les Kardashian ?
La création de la nouvelle enceinte BeoLab 90 de Bang & Olufsen illustre bien les relations, parfois conflictuelles, entre le design et la technique.
Photo Bang & Olufsen
L’originalité des formes des enceintes Hi-Fi et l’apparente liberté créative des designers se mettent au service d’une rigoureuse exigence acoustique. Focus sur la beauté du son.
Carrément futuristes ou savoureusement rétro, les meilleures enceintes Hi-Fi attirent l’œil autant qu’elles enchantent les oreilles. Et si elles semblent échappées d’un roman de science-fiction, inspirées par la nature ou l’architecture, leurs formes biscornues ne doivent rien au hasard. C’est que les boîtiers carrés ou rectangulaires génèrent des réflexions et des interférences qui se combinent désagréablement au signal audio. Il faut donc bannir les angles droits et privilégier les courbures, voire inventer de nouvelles perspectives. Une aubaine pour les designers, qui peuvent laisser libre court à leur imagination. Goutte d’eau, gramophone réinventé, capsule sphérique ou elliptique : toutes les fantaisies sont permises.
« Grâce aux évolutions technologiques, à la miniaturisation et aux nouveaux matériaux, on peut se permettre plus d’excentricité sur les formes », explique Philippe Carré, PDG de la marque mythique Elipson. Une marque qui a longtemps montré la voie en matière de design. Depuis les années 1950, ses enceintes en forme de boule ont conquis à la fois les studios audiovisuels et les intérieurs branchés. « Non seulement elles sont belles, mais leur forme est idéale pour le son », souligne Philippe Carré. L’aspect sphérique caractéristique de la marque a même servi de base à un lustre sonore créé en 2012 par les designers Maurizio Galante, Tal Lancman et Jean-Yves Le Porcher. Suspendu au plafond, il se compose de douze haut-parleurs évoquant des fruits. « Mon idée était de réunir deux mondes différents, celui de la mode et celui de l’audio, raconte le PDG d’Elipson. L’imagination de Maurizio Galante a été portée par le projet technique. Dès la première réunion de briefing, il avait dessiné son schéma sur un coin de table, inspiré par l’idée d’un arbre et de haut-parleurs sphériques. »
"Diffusion omnidirectionnelle du son"
Le français Devialet, qui s’est déjà distingué avec ses amplis extra-plats considérés comme les meilleurs actuellement, a adopté une forme ovoïde pour son enceinte sans fil Phantom. Un design original qui doit tout à des objectifs acoustiques. « Cette conception garantit une diffusion omnidirectionnelle du son, quel que soit le point d’écoute. Aucun angle, aucune arête ne vient perturber la propagation des ondes », explique Pierre-Emmanuel Calmel, cofondateur de la marque.
Car le designer ne se contente pas d’habiller plus ou moins élégamment les enceintes. « C’est beaucoup plus complexe, estime Alain Pineau, designer aux multiples talents, en charge des enceintes Focal depuis 2003. Nous travaillons sur les interactions entre les formes et la diffusion du son. Et nous devons forcément tenir compte des contraintes techniques. Nous devons nous effacer, ne pas nous prendre pour des sculpteurs ni imposer notre volonté esthétique. »
La création de la nouvelle enceinte BeoLab 90 de Bang & Olufsen illustre bien les relations, parfois conflictuelles, entre le design et la technique. « En audio, le design n’a que peu de rapport avec l’art, observe André Poulheim, qui a conçu ce modèle. Il faut tenir compte de contraintes acoustiques, industrielles, physiques et électriques. » À l’origine, les ingénieurs lui ont présenté un prototype en bois, un empilage de caissons contenant chacun des haut-parleurs sur le pourtour. « Notre mission était de créer une expérience au niveau du visuel et du toucher, raconte André Poulheim. Nous avons voulu réaliser un objet dont l’aspect serait différent de chacun des points de vue. » Parmi les photos et les esquisses épinglées au mur de son studio de création se distinguent des images de voitures de sport, d’immeubles modernes, de chaussures d’athlétisme. Et un poster représentant le toit du stade olympique de Munich, conçu par l’architecte Frei Otto.
« Nous avons étudié sa manière de jouer avec les formes et de produire des surfaces elliptiques soulignées par des lignes dynamiques. Nous nous en sommes largement inspirés pour imaginer notre habillage multifacette. » Si sa première idée sera corrigée pour s’adapter aux procédés de fabrication, le designer tient bon face aux ingénieurs : « Ils nous ont demandé de modifier la structure pour des raisons acoustiques, mais nous avions fixé un seuil au-delà duquel nous refusions tout compromis sur le design. Finalement, il a fallu changer de fournisseur pour créer les structures qui nous réconcilieraient avec les ingénieurs. » Chaque détail a été soigneusement étudié. Le logo sur la façade de l’enceinte, par exemple. L’atelier a dû mettre au point une technique de gravure spéciale pour que le nom Bang & Olufsen s’illumine dans le noir et se reflète à la lumière du jour. « Le logo doit être à l’image de la marque, illustrer la magie et l’élégance du produit », considère André Poulheim.
« Aussi beau à regarder qu’à écouter »
Au designer ensuite de marier esthétique et innovation, ravissement des yeux et des oreilles. « Le résultat doit être aussi beau à regarder qu’à écouter, surenchérit Alain Pineau. Il doit y avoir un accord, puisqu’on parle de plaisir : l’objet doit être élégant, harmonieux, et laisser deviner par son design ses qualités intrinsèques. Si l’enceinte présente de vraies innovations technologiques, il faut les exprimer par ce que j’appelle des lignes de codes, c’est-à-dire des détails qui font comprendre ces innovations. Il faut aussi respecter l’esprit visuel de la marque, sa charte graphique. »
Outre ses qualités acoustiques, le look de l’enceinte contribuera naturellement à son succès. « Une enceinte, c’est un objet intrusif dans la décoration d’un intérieur, souligne Philippe Carré. Il doit être réussi esthétiquement. Rappelez-vous des luminaires : autrefois, ils étaient seulement utiles ; maintenant, ils constituent des éléments de décoration. Ce doit être pareil pour les enceintes. Ce sont souvent les objets les plus simples qui ont le plus grand succès, comme l’a prouvé Apple. Mais c’est très difficile de faire des objets simples. » Une simplicité qui, dans le domaine des enceintes Hi-Fi, se paie souvent très cher…
10 exemples hors du commun
En images
La beauté du son
Once CustomNar, enceinte amplifiée fabriquée en Turquie en hommage au gramophone (sur commande).
Photo service de presseLa beauté du son
VividAudio Giya, véritable sculpture audio aux formes futuristes (35.000 € la paire).
Photo service de presseLa beauté du son
ScandynaThe Drop, à suspendre ou à poser sur pieds (599 € la paire).
Photo service de presseLa beauté du son
Avantgarde AcousticTrio Classico, une authentique œuvre d’art contemporain au son exceptionnel (58. 000 €).
À la découverte des lieux français qui incarnent l’élégance et la fête à Miami, toute l’année.
Du 3 au 6 décembre, Miami Beach va vibrer au rythme d’Art Basel. Pendant quatre jours, la ville solaire accueillera les collectionneurs du monde entier pour des expositions, des ventes mais aussi des soirées démesurées. L’occasion de découvrir les lieux français qui incarnent l’élégance et la fête à Miami toute l’année. Reportage et carnet d'adresses.
Restaurateurs haut de gamme, directeurs artistiques de boites de nuits huppées, propriétaires de boutiques de vêtements élégants, les Français, s'ils sont plutôt discrets à Miami, n’en sont pas moins légions. Pour découvrir Miami version chic, il suffit de les suivre à la trace.
On pose ses bagages à Miami Beach pour capter l’énergie extraordinaire qui anime la presqu'île durant Art Basel et on file immédiatement au France Pavilion. À quelques minutes à pied du Convention Center qui accueille Art Basel, ce lieu regroupe les œuvres de nombreux artistes français comme Yom de saint Phalle, le neveu de Niki, ou encore le sculpteur Richard Orlinski connu pour ses animaux sauvages inquiétants. Ici, « All things French » comme le disent les organisateurs. Car non loin des œuvres d’art, se trouvent aussi de la mode, Haveney, ou du mobilier version luxe, Maison Montaigne, pragmatisme à l’américaine. Derrière cette exposition démesurée se cache un commissaire français, Sébastien Laboureau. Consultant en art passionné par son métier, Sébastien a choisi de s’installer à Miami pour son dynamisme.
Wynwood ou la petite France arty
Lorsqu’il n’est pas en plein Art Basel, il propose des visites guidées personnalisées de l’un de ses quartiers préférés : Wynwood. En quelques années, cette ancienne zone d’entrepôts est devenu « the place to be ». Les grands hangars se sont petit à petit transformés en boutiques de mode pointues, en restaurants branchés ou en galeries d’art. On fera d’ailleurs un crochet par la française et donc très chic Ricart Gallery.
Mais le principal spectacle figure sur les murs où les artistes du monde entier se côtoient. Une fois admiré les graphs plus féministes que féminins des street artistes toulousaines Fafi et Miss Van, on fait un détour obligatoire par la boutique D Koncept. Tenue de main de maître par Déborah Kerchache, Française vivant entre Miami et Paris, la boutique regroupe le meilleur de la French touch version mode : JC de Castelbajac, Eleven Paris, American retro et des marques plus confidentielles comme les chausseurs Twins for peace ou Dukas… « Pour les Américains, les Français ont bon goût, tout simplement » souligne Déborah. On ne dément pas et on repart avec une paire d’escarpins Eugène Riconneaus ou, plus abordable, une bougie Popup.
Détour au Baoli
De retour à Miami Beach, on hésite entre les différents vernissages qui ponctuent Art Basel pour débuter la soirée. Après quelques toiles, on file au Baoli. Sur Collins avenue, ce restaurant club lounge, dont le grand frère se trouve à Cannes, est le lieu de rendez-vous de la jeunesse trendy. Derrière les platines dans l’espace VIP ou sur la terrasse intérieure, on s’attable autour d’un cocktail avant de déguster une assiette de sushis puis de partager un « hangiri golden platter », sorte de seau de desserts orgiaque regroupant fruits exotiques, fondant au chocolat et crème brûlée so French, sorbets et glaces. Côté musique, ambiance et beautiful people, on fait confiance à David Saada, le directeur artistique, français évidemment.
Le chic à la française
Derrière le Webster se cache Laure Hériard Dubreuil. Passée par Blanciaga et Yves Saint Laurent, cette jeune française ne savait pas où trouver une robe élégante pour Art Basel et à décidé de créer ce temple du french chic en plein Miami Beach. thewebster.us.
Le lendemain, on se rend de bon matin au Webster, à l’autre bout de Collins Avenue, pour avoir la chance de croiser Laure Heriard Dubreuil, la créatrice de ce lieu vite devenu mythique. Laure l’a imaginé en 2009 après avoir cherché en vain une robe de soirée pour Art Basel dans tout Miami. Abrité dans un bâtiment Art Déco qui vaut à lui seul le détour, le concept store est un savant mélange de l’Avenue Montaigne et du magasin Colette sur plusieurs centaines de mètres carrés, un univers totalement parisien et luxe qui incarne ici le chic à la française. On feuillette le livre de Karl Lagerfeld consacré à Choupette et on repart avec une capeline Maison Michel pour se protéger du soleil.
Après un passage obligé par Art Basel à la découverte des dernières œuvres qui font accourir la planète, on s’offre une parenthèse enchantée sur la plage du Setaï. Au cœur de Miami Beach, cette plage privée est réservée aux clients de l’hôtel, à bon entendeur. Des transats molletonnés au spray d’eau douce pour se rincer le visage après la baignade, aucun détail n’est laissé au hasard. Le must : commander un kebab chic dans le food truck posté sur la plage. Imaginé par le chef français du palace, Mathias Gervais ou chef Mathias comme l’appellent ses équipes américaines, le camion fonctionne à l’énergie solaire et sert de la comfort food bien française. Autre option, s’asseoir à l’une des tables du restaurant de la triple piscine et déguster la pizza aux truffes, le champignon qui sonne ici comme le symbole de la gastronomie française, en regardant l’océan… Et se rendre compte que la France à la sauce américaine, c’est assez réjouissant.
Visite guidée des lieux frenchies
En images
La french touch de Miami
Consultant en art, Sébastien Laboureau aide les collectionneurs à acquérir leurs rêves… Mais, pour le commun des mortels, il fait aussi des visites sur mesure des quartiers arty de Miami.
Photo OT MiamiLa french touch de Miami
On adore ses explications référencées et son œil pour nous faire découvrir Miami autrement. Contact pour organiser une visite sur www.moonstar.fr.
Photo OT MiamiLa french touch de Miami
Déborah Kerchache a été l’une des premières à oser installer sa boutique, D-Koncept, à Wynwood. À l’intérieur on y trouve une sélection de marques françaises pointues…
Photo OT MiamiLa french touch de Miami
… « Et jamais plus d’un modèle par taille, car, comme tout ce qui est français, cela doit rester exclusif ! » précise Déborah. www.d-koncept.com.
L’une des plages les plus privées et les plus cosy de Miami Beach est sans aucun doute celle du palace The Setaï.
Où acheter/voir de l’art
Ricart Gallery
Caroline Herail et Martial Ricart, français tous deux, sont à la tête de cette prolifique galerie d’art baignée de lumière dans le quartier tendance de Wynwood. Pendant Art Basel, on s’y rend pour découvrir les impressionnantes sculptures de David Hayes. 444 NW 28th Street, Wynwood District, Miami, FL 33127, www.ricartgallerymiami.com.
Markowicz Fine Art
Galeriste réputé, Bernard Marcowicz, est originaire d’Arras. Aujourd’hui sa galerie s’épanouit sous le soleil du Design District de Miami et on vient y voir des œuvres d’Andy Warhol, Damien Hirst ou Fernando Botero, rien que ça. 110 NE 40th Street, Miami, FL33137, www.markowiczfineart.com.
Fine art auctions Miami
Une salle des ventes au cœur de Miami pour acheter ou se faire vibrer au son des enchères. Le commissaire priseur est français et la maison est spécialisée dans les œuvres impressionnistes et contemporaines. Une importante vente est prévue le 3 décembre. On pourra y voir, à défaut d’acquérir, les Baigneurs d’André Derain ou un portrait de Marie Laurencin. 4141 NE 2nd Ave, Suite 106A, Miami, FL 331137, www.faamiami.com.
Où s’habiller so French pour Art Basel ?
Trend
Carven, Helmut Lang, Missoni… Ici toutes les marques ne sont pas françaises mais Leslie, la propriétaire, oui, et cela se voit. Originalité ne rime jamais avec excentricité mais avec chic et élégance. Une adresse parfaite pour remplir sa valise. 1230 NE 40 th St, Miami, www.facebook.com/trendbysj.
Roses and Dreams
Valérie a travaillé chez Chanel avant d’accomplir son rêve : ouvrir sa propre boutique de vêtements français à Miami. Dans une ambiance boudoir, on choisit sur les portants des robes Gat rimon ou Antik Batik, précieuses et romantiques. 40 South Point Drive #103, 33139 Miami Beach, www.rosesanddreams.us.
Où manger ?
Fooqs, c’est la nouvelle adresse incontournable de la jeunesse branchée et arty de Miami. Aux manettes, un restaurateur français qui mixe les influences. On y va pour la décontraction du lieu…
Fooq’s
Un tout jeune bistrot chic à la française tenu par David Foulquier. On s’y presse pour manger, sous les photos du Concorde, des meatballs version frenchy ou un steak frites avec une vraie béarnaise. Simplement bon dans une ambiance décontractée. 1035 North Miami Ave, Miami, FL 33136, fooqsmiami.com.
Jaya
Il faudra attendre le 11 décembre pour découvrir le tout nouveau restaurant gastronomique du Setaï, Jaya. Aux fourneaux, Mathias Gervais, chef français, propose une carte asiatique gastronomique avec des spécialités thaïlandaises, coréennes, vietnamiennes, indiennes, chinoises et japonaises. On choisi une table dans le patio, au milieu des palmiers. 2001 Collins Ave, Miami Beach, FL 33139 www.thesetaihotel.com.
Villa Azur
Avec deux Français sur les trois associés, la Villa Azur est connue comme une référence de l’art de vivre à la française. Dans un décorum romantique kitsch, la jet-set de Miami se presse pour goûter le foie gras du chef français ou encore son Chateaubriand avant de faire la fête. Une adresse incontournable pour voir et être vu jusqu’au bout de la nuit. 309 23 rd St, Miami Beach, FL 33139 www.villaazurmiami.com.
Où dormir ?
The Setaï
Le palace « fusion art déco » de Miami Beach a 10 ans. On y va pour sa plage exceptionnelle, sa situation irréprochable et son spa By Thémaé Paris… Mais surtout pour sa concierge française, Maïté Foriasky, qui sait absolument tout sur Miami.
Offre spéciale « Escapade 10e anniversaire » jusqu’à la fin de l’année : 10% sur le prix de la chambre et accueil VIP. 2001 Collins Ave, Miami Beach, FL 33139 www.thesetaihotel.com.
Villa Bagatelle
Toujours sur Miami Beach, l’hôtel Villa Bagatelle attire grâce à son rooftop imprenable. On y vient pour bronzer mais aussi boire un cocktail en soirée. On demande une chambre avec vue sur l’océan et on dîne au Bistrot Bagatelle où les plats sont présentés en français. 2000 Collins Ave, Miami Beach, FL 33139 www.villabagatellemiamibeach.com.
14 artistes féminines seront exposées à la Saatchi Gallery jusqu'au 9 mars 2016. Ici, deux œuvres d'Alice Anderson : Bound (L) et 181 Kilometres.
Photo AFP/Leon Neal
Pour la première fois depuis sa création il y a 30 ans, la prestigieuse Saatchi Gallery de Londres présente une exposition exclusivement réservée aux femmes. Les travaux de quatorze artistes majeures de l'art contemporain, venues d'Iran, d'Arabie saoudite ou de France, y seront présentés.
Baptisée « Champagne Life» (1), l'exposition célébre jusqu'au 6 mars 2016 la diversité de l'art contemporain féminin. Elle vise également à lutter contre « le plafond de verre » auquel se heurtent ses représentantes, a expliqué le patron de la galerie, Nigel Hurst. « Si vous regardez le nombre de personnes qui vont aux Beaux Arts, c'est grosso modo du 50-50 (entre les hommes et les femmes). Mais si vous jetez un oeil au top 50 des ventes aux enchères en 2015, seulement trois proviennent d'artistes féminines », a-t-il regretté. C'est en montrant davantage le travail de artistes féminines que leurs oeuvres prendront de la valeur, a-t-il estimé, appelant les galeristes à faire des efforts en la matière.
Des femmes âgées, un mur de casseroles et un cheval empaillé
Untitled (Food For Thought series) par Maha Malluh est exposé à la Saatchi Gallery.
Photo AFP/Leon Neal
L'exposition « Champagne Life » occupe deux étages de la Saatchi Gallery, située à Chelsea, quartier cossu dans le sud-ouest de la capitale britannique. Sont notamment visibles des peintures de l'artiste anglo-suédoise Sigrid Holmwoodévoquant les toiles du maître flamand Pieter Bruegel l'Ancien (XVIe), mais avec un style psychédélique et des couleurs fluorescentes. Il y a également des portraits de femmes âgées réalisés par la Serbe Jelena Bulajicà partir de poussière de marbre, granite, calcaire et graphite. Dans une autre pièce, une œuvre de l'artiste saoudienne Maha Malluh constituée d'un mur de casseroles fait face au cheval empaillé de Soheila Sokhanvari, née en Iran.
L'art, un club ouvert aux femmes
Figure aussi une sculpture à la cire de l'artiste française Virgile Ittah. Selon elle, les artistes femmes sont aujourd'hui davantage prises au sérieux. « Nous sommes à un tournant dans notre société, où la question du genre n'est plus aussi importante qu'auparavant », a-t-elle affirmé. L'art « n'est plus un club réservé aux hommes ».
Réputée pour le soutien qu'elle apporte aux artistes féminines, la Saatchi Gallery a notamment contribué à lancer la carrière de la Britannique Tracey Emin, célèbre pour ses œuvres exposant les détails les plus intimes de sa vie.
Découvrez les premières images de l'expostion :
En images
« Champagne Life » à la Saatchi Gallery
Lion Man par Stephanie Quayle
Photo AFP/Leon Neal« Champagne Life » à la Saatchi Gallery
Bound and 181 Kilometres de Alice Anderson
Photo AFP/Leon Neal« Champagne Life » à la Saatchi Gallery
Champagne Life, par Julia Wachtel
Photo AFP/Leon Neal« Champagne Life » à la Saatchi Gallery
(1) Champagne Life, Saatchi Gallery, Duke of York's HQ, King's Road, Londres, SW3 4RY. www.saatchigallery.com. Du 13 janvier au 9 mars 2016, tous les jours de 10 heures à 18 heures, dernière entrée à 17 heures 30.
Reconstruite depuis la fin de la guerre en 1990, la ville a parfois affiché le visage d’un chantier gigantesque. L’âme beyrouthine semble aujourd’hui marquée par l’expérience de la mutation positive.
Photo Jean François Robert
La capitale libanaise déclare la guerre à la guerre avec l’art comme étendard. Fondations, musées d’art contemporain, boutiques de mode prennent d’assaut le centre-ville, en dépit des crises. Une mutation architecturale qui s’exprime comme un manifeste.
Dans ce laboratoire permanent qu’est le Liban, où les crises se succèdent comme autant d’épisodes d’une série absurde et dramatique, l’énergie des habitants est stupéfiante. Dernier exemple, la transe artistique qui s’est emparée de la capitale, Beyrouth. Tandis qu’autour le Moyen-Orient flambe, musées, fondations, expositions et foires, réalisés ou en projet, accompagnent la transformation de quartiers en zones trendy. Conscients de danser sur un volcan, les Beyrouthins appuient sur l’accélérateur, les boutiques ouvrent, les collections enflent et les créateurs y trouvent leur compte.
Expression du moment, « le bol d’art pur » qui, dans une ville saturée par les ordures non ramassées depuis des mois, était venu saluer, fin septembre, l’ouverture de la 6e édition de la Beirut Art Fair (BAF), organisée par la Française Laure d’Hauteville. Certes, la crise régionale a freiné la fréquentation des habitués des pays du Golfe, mais il n’empêche, l’événement est désormais inscrit sur l’agenda des fans d’art contemporain. Et dans le flot de croûtes exposées, quelques pépites scintillaient telles les vidéos de l’artiste Mehdi Meddaci, exposées par la galeriste française Odile Ouizeman.
Dix ans après : en septembre dernier, la SV Gallery expose les photos de Joy Homsy célébrant une mobilisation populaire historique de 2005.
Photo Jean François Robert
Le collectionneur et amateur d’art Tony Salamé, également propriétaire de la chaîne de grands magasins de luxe Aïshti, a inauguré sa fondation d’art le 25 octobre dernier, avec l’exposition intitulée New Skin (« Nouvelle Peau »). Une centaine d’œuvres, de Giuseppe Penone à Daniel Buren ou Seth Price, ont pris place dans un bâtiment surmonté de moucharabiehs relookés tout métal, édifié par l’architecte britannique David Adjaye.
De son côté, l’association Apeal a prévu d’ériger un musée d’art moderne et contemporain libanais en face du musée national, sur un emplacement prêté par l’université Saint-Joseph. Là encore, ce sont des capitaux privés qui devraient prendre en charge son édification. Au Liban, pays dépourvu de président de la République pour cause d’imbroglio politico-administratif, la culture n’attend rien du secteur public.
Autre poids lourd issu du monde bancaire, la Fondation Saradar achète depuis 2012 des œuvres modernes et contemporaines, moyennant un budget annuel minimum de 500 000 dollars. Elles seront bientôt présentées au public. Rami El-Nimer, autre banquier, exposera en 2016, dans un lieu baptisé Dar El-Nimer, sa riche collection d’art ottoman. Son but est de promouvoir les jeunes artistes palestiniens.
Et l’on cite encore Basel Dalloul, dont la collection d’art moderne et contemporain issu du monde arabe comporte plus de 4 000 pièces. Un musée est pressenti pour les accueillir en centre-ville. Et ce n’est pas tout. Après sept années de fermeture pour cause de travaux, le musée Sursock, installé dans une vaste demeure ancienne sur la colline d’Achrafieh rouvre ses portes, a été dépoussiéré de façon très sage par l’architecte français Jean-Michel Wilmotte. La première exposition, consacrée à la ville de Beyrouth, oscille entre nostalgie et art contemporain.
La Maison jaune, repaire de snipers pendant la guerre civile, est aujourd'hui en rénovation.
Photo Jean François Robert
Youssef Haidar est chargé d’un projet particulièrement emblématique, la Beit Beirut (la maison de Beyrouth). Dans une ancienne et belle bâtisse des années 1930, située à un carrefour central de la ville, ouvrira bientôt un musée-centre culturel urbain. Durant les dix-sept années de guerre, cet immeuble de maître, surnommé la Maison jaune, situé sur la ligne de front, a servi de machine à tuer. Les snipers y avaient élu domicile. Le lieu est glaçant. « Il a fallu des années pour aboutir à ce projet, dit-il. Les critiques venaient de partout. Pourquoi avoir installé ce musée dans la partie chrétienne de la ville et pas en face ? À quoi bon raviver la mémoire de ces années terribles ? Pourquoi choisir cette architecture ? » Youssef Haidar tient bon, car il sait ce que l’Histoire peut apporter aux Libanais. « Mais il faut se battre pour cela, car beaucoup d’entre nous sont passés de l’amnistie générale (des crimes de guerre) à l’amnésie générale. » Incertains face à l’avenir, jamais d’accord sur le passé, les Libanais vivent dans le présent.
Une qualité exprimée dans les collections d’art de Karim Abillama et de Samir, son père, homme d’affaires talentueux dont la réussite dans les ascenseurs lui assure une solide fortune. Si le père collectionne l’art ancien, accumulant les chefs-d’œuvre des civilisations qui se sont succédé sur le sol libanais (pièces phéniciennes, grecques, romaines, turques, italiennes, françaises), le fils, lui, collectionne dans sa villa magnifique tous les artistes de la jet-set (Richard Prince, Georg Baselitz, Josh Smith…). Autant la collection du père ne peut se trouver qu’à Beyrouth, autant celle du fils pourrait s’être constituée n’importe où, à Singapour ou à Miami. Désir de placer le Liban sur la carte ou d’en partir au plus vite d’un jour à l’autre ? Toute la contradiction libanaise résumée en une question.
Les acteurs de l'Art à Beyrouth
Laure d’Hauteville, fondatrice de la Beirut Art Fair.
Photo Jean François Robert
Laure d’Hauteville, fondatrice de la Beirut Art Fair
Qui êtes-vous ? Je me suis installée au Liban en 2005. Gestionnaire de collections privées, puis journaliste culturelle, j’ai créé la Beirut Art Fair en 2010 et les éditions se sont succédé, en dépit des soubresauts de la politique, interrompues souvent par un conflit armé. Pour la 6e édition, la foire a tenu ses promesses dans un contexte très défavorable de guerre régionale et d’afflux de réfugiés. Votre projet : faire de cette foire un rendez-vous particulier, différent des autres salons. Un lieu d’art contemporain où sont mis en avant des artistes de la ME.NA.SA (Moyen Orient, Afrique du Nord, Asie du Sud). Des 3 500 visiteurs de la première édition, nous sommes passés à plus de 20 000 visiteurs pour un bilan de vente d’œuvres de plus de 3,5 millions de dollars. Nous avons même exporté la foire à Singapour. Désormais, nous sommes sollicités pour conseiller des collectionneurs, envisager avec eux d’autres lieux ouverts au public. L’ambassade de France a compris l’importance de notre action. Nous montons en puissance. Nous sommes dopés par la vitalité libanaise, source permanente de fascination.
Joumana Asseily Galeriste à Beyrouth
Qui êtes-vous ? Je suis née au Liban, mais je suis partie vivre à Los Angeles. De retour en 2006, j’ai travaillé pour des institutions culturelles. Votre projet : je viens d’ouvrir une galerie d’art dans deux anciens garages, en plein cœur d’un quartier encore déserté, près du port, juste derrière les bureaux des douanes. La galerie est baptisée Marfa (le port). Notre première exposition accueillera le travail de l’artiste libanais Vartan Avakian. Il a récupéré de la poussière déposée dans la Maison jaune, future Beit Beirut. Située sur la ligne de front durant la guerre, cette maison fut le QG des snipers. Il en a tiré des cristaux. Ainsi, la mémoire du passé, l’ADN de la guerre, s’ancre dans une technologie du futur. On peut interroger l’Histoire en se projetant en avant.
Odile Ouizeman, galeriste à Paris
Odile Ouizeman, galeriste à Paris.
Photo Jean François Robert
Qui êtes-vous ? J’ai fait des études d’art et je suis devenue artiste moi-même. Mais rapidement, je me suis sentie plus médiatrice qu’actrice. J’ai décidé alors de pousser les jeunes créateurs. Depuis neuf ans, je tiens une galerie au 10-12 rue des Coutures-Saint-Gervais, dans le Marais, à Paris. J’y expose des œuvres qui toutes touchent de près ou de loin à la mémoire. Votre projet : ma première participation à la 6e Beirut Art Fair était un pari, une façon de miser sur la présence de collectionneurs soit locaux soit appartenant à la diaspora libanaise. Au-delà, c’était encore un geste politique, celui de montrer qu’une galeriste d’origine juive pouvait, à Beyrouth, exposer Mehdi Meddaci, un artiste travaillant sur l’espace de la Méditerranée. La qualité de ses vidéos a d’ailleurs été saluée dans toute la presse.
Qui êtes-vous ? Après avoir travaillé dans une agence de publicité, j’ai décidé de me lancer dans une aventure destinée à initier les enfants à l’art. Il y a trois ans, en association avec la Beirut Art Fair, j’ai lancé le programme Beirut Art Week qui consiste à placer des œuvres d’artistes dans le quartier chic et commerçant du centre-ville. Votre projet : nous allons développer la présence de l’art dans l’espace public de Beyrouth, en installant des œuvres dans divers quartiers de la capitale afin de toucher, cette fois, tous les publics. Nous y consacrerons près de 250 000 dollars. L’idée est de récupérer des terrains actuellement interdits à la population ou bien occupés par l’armée et de les rendre aux habitants. Au Liban, remplacer les armes par des œuvres, c’est un message assez clair.
Mansion une maison d’artistes
C’est dans une vieille maison traditionnelle de Beyrouth rebaptisée Mansion que se sont installés des créateurs, architectes, peintres, sculpteurs. Le propriétaire leur laisse les lieux afin que ceux-ci vivent encore. C’est la solution qu’il a trouvée pour préserver ce bel exemple d’architecture traditionnelle. Enfant, Samar Kanafani, étudiante en sociologie, a vécu dans l’une de ces maisons, hélas détruite ensuite par un bombardement. Elle achève une thèse à l’université de Manchester. Son projet vise à comprendre les motivations qui poussent les propriétaires de ces demeures à les vendre à des promoteurs qui les raseront pour les remplacer par des tours. « D’ordinaire, dit-elle, le jugement porté sur les vendeurs est culpabilisant. J’essaie au contraire de les comprendre. Mon objectif est évidemment de sauver les derniers vestiges d’une ville qui, autrefois, s’enorgueillissait d’être, dans un Orient tumultueux, un havre de paix baigné de jardins secrets. »
Le front de mer de Ramlet el Baida borde la dernière plage publique de la ville, plus appréciée pour la promenade sur le sable que pour la qualité de l’eau…
Photo Jean François RobertArt hub
Saifi Village, au cœur de Beyrouth, est aussi appelé le quartier des arts, au regard de ses nombreuses galeries et boutiques d’artisan.
Photo Jean François RobertPolitique
Dix ans après : en septembre dernier, la SV Gallery expose les photos de Joy Homsy célébrant une mobilisation populaire historique de 2005.
Photo Jean François RobertBeyrouth, le bol d'art pur
Les inspirations poétiques du plasticien suisse nous emportent dans un voyage à travers le temps et l’imaginaire. Portrait d’un artiste rock qui rêve en couleur.
Ugo Rondinone a redonné vie à l’église baptiste Mount Moriah à Harlem ; longtemps abandonnée, elle a été transformée en studio-résidence. Dans la grandiose entrée où les mosaïques originales ont été restaurées, un colosse de pierre siège sur son socle. Plus loin, derrière les lourdes portes de bois, le studio de l’artiste est rempli de clowns à taille humaine, que son équipe habille pour une nouvelle exposition. Des horloges de verre teinté suspendues au plafond rappellent les vitraux intacts de la bâtisse originale. Au milieu de ce décor spectaculaire, de grands arbres noirs. Au mur, des canevas découpés en forme de nuages attendent d’être recouverts d’aérosol bleu ciel. Dans un studio adjacent, un joyeux groupe d’assistants perfectionne des sculptures en pierre peinte de couleur fluorescente, qui seront prochainement exposées dans le désert du Nevada (1). Les espaces privés regorgent aussi d’œuvres d’art (Urs Fischer, Sarah Lucas) que l’artiste collectionne. Le poète new-yorkais John Giorno, qui partage la vie de Rondinone depuis vingt ans, y a installé son studio. Voici l’univers bariolé, fantasque et onirique d’Ugo Rondinone.
Né en 1964 à Brunnen, en Suisse, l’artiste lance sa carrière à Vienne à la fin des années 1980, avec des dessins monochromes de paysages romantiques. Il crée ensuite ses fameuses cibles-mandalas, cercles colorés peints à l’aérosol sur des canevas blancs aux lignes floues. Il multiplie les styles et les références, bâtissant des murs et des portes sans maison, modifiant des photographies de mode, créant des arcs-en-ciel pop géants, des nus de cire mélancoliques, des chevaux et des oiseaux de bronze, des sculptures de pierre...
Chaque nouvelle série contraste avec la précédente pour raconter l’artiste dans une œuvre d’art totale en plusieurs temps, aussi magiquement cathartique qu’universelle. Rondinone crée des associations lyriques et candides, qui font allusion à des thématiques éternelles : l’absurde, le désir, la nature, la société de consommation, la vie, la mort.
Lenteur
La question du temps obsède l’artiste depuis le début de sa carrière. Aussi, il titre ses œuvres de dates biographiques mystérieuses. Au cours de l’élaboration d’une œuvre, il crée un journal intime marqué par l’existentialisme et fait l’éloge de la lenteur comme démarche métaphysique. Ainsi, avec ses montres sans cadran, ses fenêtres bloquées ou ses scènes de cirque figées, le temps ralentit pour créer un univers parallèle propice à la contemplation : c’est l’anti-Hollywood. « La lenteur est un thème important pour moi, puisque je pense que la valeur de l’art est dans sa lenteur inhérente. Je ne cherche pas à entrer en concurrence avec une industrie où la rapidité est la force principale. Au contraire, la lenteur me permet de trouver ma propre voie. Je crois en la créativité individuelle. Je crée mes propres règles et mon temps. Un artiste doit rester indépendant et solitaire. » L’œuvre de Rondinone est marquée par une dualité intrinsèque entre cette lenteur et une qualité industrielle, inexorable après les ready-mades de Duchamp. Les sculptures de pierre semblent précaires, mais exigent de rigoureuses techniques d’architecture. Pour l’artiste, ces contrastes témoignent de la frontière factice entre réalité et fiction, nature et culture, art et entertainment.
L’absurde
La pensée de Samuel Beckett imprègne l’œuvre de Rondinone, qui refuse d’offrir un projet de vie et propose plutôt des moments d’existence mélancoliques. Pour Rondinone, artiste prestigieux mais notoirement timide, l’artiste est l’anti-entertainer, l’anti-intellectuel public, l’antistar. « L’art ne doit avoir aucune proposition, mais n’existe que pour nourrir l’âme et pour se trouver. L’art est l’extension de mon être. Et, bien entendu, la vie est absurde. Elle n’a aucun sens. Comme le dit le titre de l’une de mes expositions (à Shanghai) Breathe, Walk, Die (“respire, marche, meurs”), c’est une répétition éternelle. La frontière entre le sérieux et l’absurde est si fine que l’on peut aisément la traverser. Nous devons inventer nos propres valeurs puisque celles de la société n’ont aucun sens. »
La poésie
« Comme l’art, la poésie n’est pas logique. Comme l’art, elle vous oblige à ralentir, à ne pas essayer de comprendre puisqu’il faut sentir un poème tout comme il faut sentir une œuvre d’art. Il faut s’ouvrir aux sons du monde. » L’expérience poétique est essentielle à l’œuvre de Rondinone, qui présente des images immédiates, simples, naïves, enfantines, subtilement manipulées, cherchant à provoquer des réactions plutôt émotives que cérébrales. Par ailleurs, il aime juxtaposer des mots et des phrases à connotation personnelle à ses œuvres sans créer de lien descriptif évident. Un monstre de bronze repeint en argent est titré Sunrise. Un olivier en aluminium : Feel, You Feel, We Feel Through Each Other Into Ourselves. Une fenêtre masquée de Plexiglas rouge : The Stillness. De ces associations libres, réminiscences des cadavres exquis des surréalistes, importante influence pour Rondinone, émerge un mystère dont seul l’artiste a la clé. « J’aime la simplicité du langage, quand le mot devient une image, une icône. J’utilise le langage pour renforcer l’émotion de l’œuvre d’art. »
La mélancolie
Le plasticien crée un tout, un ensemble d’œuvres connectées.
Pour Rondinone, l’art permet de provoquer un état de mélancolie, à l’écart de l’agitation de la vie quotidienne, permettant de rêver d’un horizon imaginaire. « La mélancolie, ce n’est pas la tristesse, explique l’artiste. C’est un désir pour quelque chose dont on pense manquer sans savoir exactement ce qu’il est. C’est imaginer une fin heureuse au bout de l’horizon. La mélancolie me motive puisque le sentiment de ne pas être comblé doit être comblé. » Comme ses clowns apathiques, contemplant une réalité parallèle, il cherche à maintenir un état de passivité par rapport à la société hypermédiatisée. « C’est à ce moment-là que l’on s’ouvre et que l’on accueille tout ce qui se passe en soi. Rothko par exemple aurait été inimaginable dans un rôle actif. »
La nature
Les premiers dessins à l’encre, traçant les lignes sinueuses d’arbres et de forêts, ont établi le thème essentiel de son œuvre : la nature. Depuis, l’artiste crée des lithographies de ciels étoilés, des nuages peints à l’aérosol, des séries d’arbres métalliques, des sculptures de pierre évoquant des « montagnes magiques »… Tel le promeneur romantique, Rondinone retourne à la nature consolatrice au fil de sa vie. « La nature est ma religion et les arbres sont mes amis. C’est elle qui me donne toutes mes idées. Tout existe déjà dans la nature. La nature, c’est aussi cette notion d’horizon infini, cette notion romantique de méditation et de recherche de soi. » Lors de ses explorations dans son village natal en Suisse, Rondinone se met à mouler les oliviers anciens, qu’il recrée en aluminium, telles des « capsules de temps ». Il les repeint en blanc pour donner l’illusion de fantômes d’arbres, « les fantômes du temps qui passe ».
Gesamtkunstwerk (Œuvre d'art totale)
Les expositions de Rondinone ne présentent pas les œuvres comme des entités indépendantes, mais plutôt comme un tout formant un univers multimédia, souvent isolé du monde extérieur. Rondinone construit des thématiques qui se répètent et se complètent, des références à l’histoire de l’art (du romantisme au surréalisme en passant par le pop art et le minimalisme). Il crée une œuvre d’art totale, à l’image des opéras romantiques de Wagner. « Ma génération est la première qui n’a eu aucun autre choix que de créer un Gesamtkunstwerk. Avant les années 1980, l’avant-garde existait. Mais depuis, il n’y a plus de mouvements. Nous recyclons l’histoire de l’art. Nous créons notre style à travers ceux d’autres artistes. Dans une œuvre d’art totale, on peut aligner des images et des moments et voir une impression de votre vie. Tout est connecté. » Contrastant ses paysages avec les cibles, les sculptures de pierre avec les clowns mous, les arbres fantômes avec les nuages artificiels, Rondinone invente un monde de son propre imaginaire où tous les éléments reflètent les émotions et les phases de l’existence.
(1) Seven Magic Mountains, Art Production Fund & Nevada Museum of Art, jusqu’en 2018 dans le désert du Nevada (viaartfund.org). À voir aussi : Ugo Rondinone, Vocabulary of Solitude, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam, jusqu’au 29 mai. Ugo Rondinone, Becoming Soil, Carré d’Art, Nîmes, du 14 avril au 18 septembre .
L'univers d'Ugo Rondinone
En images
L'atelier
Ugo Rondinone a transformé l’église baptiste Mount Moriah à Harlem pour en faire son studio-résidence.
Des reproductions capillaires de Wassily Kandinsky, Pablo Picasso et Andy Warhol
Photo Instagram/uggoff
L'Américaine Ursula Goff reproduit des tableaux de Vincent Van Gogh, Andy Warhol ou Pablo Picasso.
Elle s'inspire d'Andy Warhol, de Vincent Van Gogh ou encore de Picasso pour créer des œuvres d'art... sur ses cheveux et ceux des autres. Ursula Goff est américaine, elle vit au Kansas et partage sur son compte Instagram ses meilleures créations. Un mélange de beauté des cheveux et de pop art qui a séduit près de 70.000 personnes sur le réseau social.
Sa dernière œuvre représente une crinière lisse et arc-en-ciel, parsemée de trois papillons jaune-orangé, rose et bleu. « J'ai créé cette coiffure aujourd'hui parce que je voulais faire quelque chose, inspiré par les événements de Orlando. Quelque chose qui n'est pas politique, triste ou accusateur. Simplement quelque chose qui nous aide à nous recentrer sur ce qui est beau dans la vie : littéralement les arcs-en-ciel et les papillons. »
Des représentations capillaires de grands peintres
Ursula Goff a d'abord commencé par utiliser les peintures de grands artistes comme outil d'inspiration. Elle crééait des couleurs plutôt classiques sur ses propres cheveux ou ceux de ses modèles. Puis, alors qu'elle travaillait sur La Nuit Étoilée de Vincent Van Gogh, elle a décidé de tester une nouvelle technique : reproduire des élements du tableau, dans un style beaucoup plus réaliste, raconte-t-elle sur son blog. Le résultat est concluant. La styliste s'attaque alors au Cri d'Edvard Munch, au Rêve de Pablo Picasso ou encore à une représentation de Marilyn Monroe, signée Andy Warhol.
La technique d'Ursula Goff
Ursula Goff peint les tableaux sur des extensions de cheveux blonds. Elle n'utilise pas de la peinture mais de la couleur pour cheveux. Elle n'a pas vraiment de marques favorites et en cite plusieurs sur son site internet.
Après avoir dessiné elle-même une maquette à la main, elle explique : « J'humidifie un peu les couleurs, puis je les applique sur des cheveux blonds avec un pinceau spécialement conçu pour les cheveux. » Le tour est joué !
La jeune américaine explique que ce projet artistique lui fait beaucoup de bien. Elle ajoute également, sur son blog, qu'il lui a permis d'en « apprendre plus sur ces peintres, leur art et leur technique ». « J'apprécie plus leur travail maintenant ». À vous d'apprécier le sien.
<p>La bastide majestueuse au milieu de son parc « grand comme sept terrains de football ».</p>
Photo Bernard Winkelmann
C’est une bastide du Luberon lovée dans un lieu unique. Une maison de famille pas comme les autres, avec des chambres inspirées, un restaurant gastronomique, un bistrot, une galerie d’art, un domaine viticole, un potager bio… Visite guidée.
Est-ce un vignoble dont les coteaux font le dos rond et les oliviers « farnientent » au soleil de la Provence ? Une table où vous mènera l’étoile du Bibendum ? Un centre d’art contemporain où la photographie a pour galerie d’anciennes caves de vinification ? Un hôtel de luxe qui déploie ses charmes à l’ombre de cèdres et de cyprès centenaires et se parfume de 1 200 roses ? Fontenille, c’est un peu tout ça. Une néomaison de famille, où l’on vient poser ses valises et ses soucis dans le secret d’un coin retrouvé du Luberon, à un vol de fauvettes du très huppé Lourmarin. Un domaine qui donne à voir des œuvres en chambres, à boire ses vendanges et à manger les légumes de son potager bio.
"Retour à la nature"
<p>Le grand bassin de nage avec vue sur les bois qui entourent le domaine.</p>
Photo Bernard Winkelmann
« C’est la beauté époustouflante du lieu qui nous a poussés dans cette aventure incroyable : tenter de redonner vie, sans la dénaturer, à l’une des plus belles bastides du Luberon », racontent Guillaume Foucher et Frédéric Biousse. Une aventure née d’un désir d’évasion. Frédéric Biousse, ex-pdg du groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot), et Guillaume Foucher, fondateur de La Galerie Particulièreà Paris et à Bruxelles, se rêvent loin de la ville et dans les vignes. « On ne faisait que travailler, la vie nous échappait, ce retour à la nature (l’un et l’autre ont des racines terriennes) nous est apparu comme une urgence », se souvient Frédéric. L’homme de mode cède pratiquement toutes les parts qu’il détenait dans les sociétés, se forme à la viticulture. Avec Guillaume, l’homme de l’art, ils partent en quête. À l’orée du village fortifié de Lauris, une somptueuse bastide du XVIIe siècle se morfond dans son immense parc. Et 35 hectares de vignes lui font cortège. À croire que cette Belle au bois dormant aux pierres blondes et au vignoble en déshérence les attendait pour être tirée de sa torpeur. Le duo pense alors juste rénover la propriété et en faire son coin de paradis. Mais la demeure n’a rien d’un boudoir de campagne. Elle mérite plus. Un hôtel quatre étoiles, comme une maison de famille ? L’idée fait son chemin, les travaux se lancent. Deux ans plus tard, chambres et tables - l’une gastronomique, l’autre bistrotière - accueillent leurs premiers hôtes.
"Fontenille a été imaginé et conçu comme notre propre maison"
Premier été sur la terrasse. Les tables s’y jouent des rayons brûlants de midi, et le rosé du
domaine (chais rénovés, vinification bien menée, ses vins ont retrouvé toute leur superbe) en rafraîchit encore l’ardeur. « Fontenille a été imaginé et conçu comme notre propre maison. Les objets, les portraits de famille, les souvenirs de voyage sont les nôtres. Les œuvres d’art qui ornent chacune des 40 pièces de la bastide sont celles de notre collection ou proviennent de La Galerie Particulière. Nous voulions créer un lieu hors du temps, où le classicisme de l’architecture du XVIIIe convoquerait les œuvres d’artistes contemporains en un colloque singulier et poétique. » Et de cette volonté, la poésie a bel et bien jailli.
La cuisine est à l’image du lieu. Le chef, Jérôme Faure, une étoile au Michelin en 2008 (Hôtel du Golf de Corrençon-en-Vercors) n’a pas hésité une seconde quand Fréderic et Guillaume lui ont proposé de s’embarquer dans l’aventure. « Avoir carte blanche pour créer deux nouvelles tables (Le Champ des Lunes et La Cuisine d’Amélie), il y avait de quoi être exalté », sourit Jérôme. « Hier, j’ai découvert les tomates ananas de deux jeunes producteurs bio, j’en ai encore les larmes aux yeux », s’émerveille-t-il. Mais n’imaginez pas qu’il va la marier à une banale mozzarella, aussi exceptionnelle soit-elle. Non, non, il va la juxtaposer avec l’inattendu, contraster les saveurs pour mieux faire « jazzer » vos papilles. Et l’accord tombe juste ! C’est beau, malicieux, locavore et enchanteur.
Décidément, la bastide de Lauris vaut qu’on franchisse la porte de son domaine, celui de l’extraordinaire. Pour un déjeuner de soleil, un dîner sous les étoiles, un après-midi arty, une escapade en amoureux. Ou pour, le temps d’un séjour, y goûter au bonheur d’une maison de famille. Les enfants iront ramasser les œufs au poulailler et s’ébroueront dans la piscine XXL. Oui, Fontenille, c’est tout ça.
Visite guidée de Fontenille
En images
Fontenille, un nouvel art de recevoirUn des salons baigné de lumière où l’on peut prendre un verre ou juste se détendre.Photo Bernard WinkelmannFontenille, un nouvel art de recevoir
La bastide majestueuse au milieu de son parc « grand comme sept terrains de football ».
Photo Bernard WinkelmannFontenille, un nouvel art de recevoir
Chacune des 17 chambres est différente, mais on y retrouve la douce harmonie des teintes gris, beige, taupe, du bois brut et des luminaires design. Ici lampes Tilt, de Jjoo Design pour Nyta.
Photo Bernard WinkelmannFontenille, un nouvel art de recevoir
Les propriétaires du domaine, Guillaume Foucher et Frédéric Biousse, avec leur chien Charles.
Mademoiselle Maurice a réalisé la plus grande fresque d’art urbain jamais réalisée dans Paris.
Photo Galerie Mathgoth - Paris
Après trois semaines d'installation, l'artiste parisienne vient de terminer la plus grande fresque jamais réalisée à ce jour dans la capitale française, et baptisée « Cycles lunaires ».
C'est une œuvre d'envergure, la plus grande fresque jamais réalisée à Paris. 15.000 origamis de papier dispersés sur une surface de 2000 m2 environ. De quoi donner le vertige. Mademoiselle Maurice, la jeune artiste derrière cette création colorée n'est pas une habituée des musées. Son terrain de prédilection, c'est la rue. Les murs des villes, tout particulièrement, sont ses supports fétiches. À Paris, où elle réside, à New York, en passant par Tokyo ou Mexico. Le papier est son outil de travail : elle le plie dans tous les sens pour lui donner forme, et ainsi créer de la matière colorée et positive. Exemple avec cette dernière installation éphémère, baptisée « Cycles lunaires ».
Fresque optimiste
Le support de ce projet, réalisé dans le cadre de la restructuration de la cité Paul Bourget dans le XIIIe arrondissement de Paris, et coordonné par la galerie Mathgoth, est un immeuble de 140 mètres de long, sur 15 mètres de haut. Le bâtiment ne passera pas le fin de l'année. D'ici là, il sera détruit pour laisser pousser de nouvelles constructions, dans ce quartier en voie de modernisation.
Mademoiselle Maurice s'est emparée du lieu le temps de cette transition. Elle a repeint toute la façade en noir, une couleur sombre qui contraste alors avec ses pliages de couleurs (environ 150 heures de travail), promesse d'un futur plus optimiste. Une fresque positive visant à accompagner les habitués du quartier à surmonter cette période de transition.
Revivez l'installation de "Cycles lunaires"
En images
« CYCLES LUNAIRES » de Mademoiselle Maurice
« Cycles lunaires » est une œuvre éphémère réalisée dans le cadre de la restructuration de la cité Paul Bourget dans le XIIIe arrondissement de Paris.
Photo Galerie Mathgoth - Paris« CYCLES LUNAIRES » de Mademoiselle Maurice
Mademoiselle Maurice a repeint la totalité de la façade en noir.
Photo Galerie Mathgoth - Paris« CYCLES LUNAIRES » de Mademoiselle Maurice
L’artiste a ensuite collé ses 15.000 origamis de papier (un travail qui équivaut à environ 150 heures de pliage).
Photo Galerie Mathgoth - Paris« CYCLES LUNAIRES » de Mademoiselle Maurice
Elle utilise la couleur pour donner une dimension optimiste à ses œuvres.
À J- 100 des présidentielles, gros plan sur Upstate New York, nouvel éden pastoral situé à 200 kilomètres de Big Apple, où les artistes VIP affluent aujourd’hui.
Photo Eva Sakellarides
À cent jours de l’élection du 45e président des États-Unis, nous avons voulu capter les vibrations d’une société en mouvement. Première étape, Upstate New York, un territoire à deux heures de route de Manhattan, dans les forêts des Catskills. Refuge de l’école de Hudson et de la contre-culture, la région attire aujourd’hui des talents ultra-créatifs. De Jim Jarmusch à Marina Abramovic, ils partagent une nouvelle utopie expérimentale.
Au bout d’une route ondoyante, au cœur des collines verdoyantes et paisibles de la vallée de Hudson, la ferme de l’artiste Dan Colen, Sky High Farm, apparaît perdue dans le silence et la lumière, comme sortie d’un conte de fées. Enfant rebelle d’une bande de fêtards new-yorkais surnommés Warhol’s Children, Colen y cultive un potager bio, et cochons, poulets, chèvres pâturent librement. Une petite armée d’assistants s’active dans le studio adjacent et dans les ateliers de menuiserie et d’acier en prévision d’expositions internationales ou de ventes.
Colen, qui a longtemps vécu avec un matelas pour seul bagage, est, à 36 ans, une figure importante de l’art contemporain à New York. Ses larges toiles couvertes d’épaisses couches de peinture giclée, de débris et d’excréments font fureur sur le marché et dans les musées. Alors que sa carrière s’étoffe, Colen entreprend de construire cette retraite pastorale en 2011, deux ans après la mort tragique par overdose de son ami Dash Snow, icône de l’underground new-yorkais. Il aime s’y ressourcer loin de la ville et de ses excès, vivre au rythme de la terre et de la nature. Colen offre tous les produits de sa ferme aux banques alimentaires régionales.
« J’avais besoin d’espace, de solitude, loin de la ville, pour des raisons personnelles », explique Colen, homme grand et mince, aux cheveux bouclés et à l’élégance bourrue, adepte de randonnées dans les montagnes des Catskillsà 200 km au nord de New York. « L’agriculture me semblait être une progression, une transition vers un mode de vie plus naturel. J’ai cherché une façon d’avoir un impact sur les problèmes de malnutrition dans la ville. La justice et l’égalité sont devenues pour moi des problématiques essentielles. »
Le "hickster", un profil émergent
L’artiste canadienne Melissa Auf der Maur a transformé en 2010 une ancienne usine en centre d’art nommé Basilica Hudson, où elle reçoit des artistes originaux et talentueux comme Jim Jarmusch.
Photo Eva Sakellarides / Photosenso
Dans l’Amérique de l’hyperconsommation, du capitalisme effréné, des inégalités grandissantes et de la violence, vivre à l’écart de la société, tout en y restant impliqué économiquement, est à la fois un luxe et un geste radical. S’il y a toujours eu plusieurs Amériques, loin de l’image du rêve emblématique, si, de la Beat generation aux hippies, les sous-cultures ont progressé en marge des valeurs dominantes, la tendance du hickster - ou fermier hipster - émerge depuis une dizaine d’années dans cette région d’Upstate New York. En réaction aux modes de vie urbains étouffants, un retour à la nature, à des valeurs communautaires offre pour beaucoup une alternative à la culture mainstream et commerciale, perçue comme vide de sens.
Ainsi, le réalisateur Jim Jarmusch écrit-il ses films enfermé dans sa maison des Catskills, seul avec sa musique. L’artiste Terence Koh, qui fut un moment au centre de toutes les soirées d’art contemporain, a brusquement annoncé qu’il s’était réfugié sur une montagne obscure de ce territoire vert sombre. Melissa Auf der Maur, icône rock d’origine canadienne autrefois bassiste de Hole (qui comptait aussi Courtney Love) et des Smashing Pumpkins, s’est, elle, installée dans une bâtisse abandonnée de Hudson pour créer un centre d’art, Basilica Hudson, dans une ancienne forge bâtie en 1880. Marina Abramovic fait parler depuis plusieurs années de son espace expérimental à Hudson, dans une bâtisse rénovée par l’architecte Rem Koolhaas, inspiré par la nature et par des pratiques alternatives comme le magnétisme. La photographe Kate Orne édite, depuis 2014, Upstate Diary, une publication sur l’art inspiré par la région. Mais on peut encore évoquer les fermes d’artistes, les radios communautaires, un nombre croissant de musiciens et de créatifs installés dans les bucoliques bourgs de la région, de Kingston à Saugerties ou Beacon… Les activités les plus prisées ? Cueillette de plantes sauvages, jardinage, menuiserie, chasse, randonnée et, même, tricot.
Les catskills, berceau de la contre-culture
La région est depuis des siècles nourrie d’influences puissantes. Dès le XVIIe siècle, la construction des villes majeures d’Upstate New York et de ses grands lacs par les Français et les Hollandais est liée au commerce de la fourrure. Les voies ferroviaires contribuent ensuite à son essor. C’est à cette période que naît le premier grand mouvement artistique américain : l’école de Hudson. Ses peintres, inspirés par les pionniers des montagnes et des grands lacs, créent des paysages romantiques, montagnes dramatiques et fleuves bouillonnants baignés de lumière. Le mouvement Arts and Crafts, né en Grande-Bretagne en réaction aux produits manufacturés en usine, s’y installe à la fin du XIXe siècle. Plus tard, des communautés bohèmes, féministes et rebelles y grandissent : Woodstock devient un symbole international de la culture hippie et du rock. Et, dès les années 1950, le compositeur John Cage, trop pauvre pour payer les loyers de New York, s’installe dans une commune d’artistes où il loue deux chambres à 24 dollars par mois. Sa performance Silence est présentée pour la première fois à Woodstock en 1952, et l’homme restera inspiré toute sa vie par la nature et les monastères zen des Catskills.
Une nouvelle vague d’arrivants
Spiritualité, contre-culture, nature : ce sont des thèmes récurrents dans la région jusqu’aujourd’hui. Lorsque Melissa Auf der Maur achète en 2010, avec son mari le cinéaste Tony Stone, cette immense usine en marge de Hudson et adjacente à la voie ferrée, elle transforme l’espace en utopie punk, y invitant des artistes rebelles et avant-gardistes comme Jarmusch, Richard Hell, Gang Gang Dance ou Godspeed You! Black Emperor. Elle y organise aussi des marchés fermiers et autres bazars artisanaux. Une petite école alternative gérée par une chef californienne s’y est installée. Auf der Maur - à qui une épaisse crinière couleur flamme et des yeux turquoise donnent des airs de nymphe rock’n’roll -, Stone et leur fille, River, habitent en face du centre d’art, à l’écart du bruit et de la ville. L’artiste fait partie d’une nouvelle vague d’arrivants qui influencent politiquement une région en majorité républicaine. Elle a été engagée dans l’équipe locale qui a soutenu le sénateur Bernie Sanders. « Ce pays a besoin de réformes majeures, surtout au niveau de la finance, de la santé et de l’éducation », explique-t-elle.
Plus loin de Hudson, dans un petit village isolé, l’imposant moulin à grain du Wassaic Project s’élève devant la voie ferrée. C’est ici que les artistes Bowie Zunino et Eve Biddle ont créé leur projet en 2008, après en avoir obtenu la propriété. L’espace, qui jouxte une grange et un vaste jardin, tient de la résidence d’artistes, avec studios, salle d’exposition ou de performance et école alternative. En été, l’équipe organise un festival fréquenté par la communauté locale et les citadins.
C’est aussi la quête de nature et de calme qui a poussé le galeriste Jack Shainman à acheter dans le bourg de Kinderhook une école abandonnée qu’il a transformée en 2013 en un impressionnant espace d’exposition, The School. Shainman, connu pour ses choix d’artistes aux propos politiques comme Hank Willis Thomas ou Carrie Mae Weems, y expose ses œuvres les plus monumentales, comme les immenses tapisseries en métal d’El Anatsui ou les photos grand format de l’Irlandais Richard Moss. Il y organise aussi des fêtes annuelles dans le jardin, dans l’esprit nostalgique des kermesses, où quelques centaines d’artistes, galeristes, commissaires et journalistes, rejoints par les habitants de la région, se régalent de street food servie par des food trucks locaux. Shainman, qui est né dans le Massachusetts, se réfugie depuis quinze ans déjà dans sa ferme pour s’éloigner du rythme effréné de la ville. Il y tisse des liens avec une communauté de plus en plus riche d’artistes de renom - Brice Marden, Ellsworth Kelly… -, de collectionneurs et de publications inspirées.
Visite guidée en images
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Pionnier
Habitué de la région des Catskills depuis quinze ans, le galeriste Jack Shainman est un représentant de cette vague d’artistes qui ont choisi de s’y établir et d’effectuer un retour à la nature et à des valeurs communautaires. C’est à Kinderhook qu’il a acheté, en 2013, une école désaffectée, transformée par ses soins en espace d’exposition, The School. (sculpture de Mark di Suvero.)
Photo Eva Sakellarides / PhotosensoArtiste engagé
Il y expose des œuvres telles que cette photo monumentale de l'irlandais Richard Moss.
Photo Eva Sakellarides / PhotosensoAlternative
C’est en 2011 que Dan Colen (photo), peintre et figure majeure de l’art contemporain à New York, a décidé de rejoindre la vallée de l’Hudson et de bâtir Sky High Farm, une ferme où il cultive fruits et légumes bio, et élève cochons, poulets ou chèvres.
Photo Eva Sakellarides / PhotosensoRetour aux sources
Cette décision de rupture avec le mode de vie urbain va de pair chez Colen avec une aspiration à la justice et à l’égalité.
Cette décision de rupture avec le mode de vie urbain va de pair chez Colen avec une aspiration à la justice et à l’égalité.
Photo Eva Sakellarides / Photosenso
Autant de facteurs qui favorisent l’émergence d’un marché de l’art régional. Les vallons fertiles et les marchés bio de la région sont de plus en plus prisés par une élite urbaine qui y construit des maisons luxueuses, notamment à Hyde Park, la ville natale de Franklin Roosevelt, où plusieurs stars comme Claire Danes (l’héroïne de la série Homeland) et André Balazs résident. Le jet-setteur américain, créateur de boîtes de nuit, d’hôtels et de spas, a même racheté une immense propriété adjacente, à Locusts-on-Hudson, qu’il loue à des groupes avec une équipe et un chef. Partout, restaurants gastronomiques, hôtels-boutiques, magasins vintage ou trendy et bars branchés servent une nouvelle clientèle aisée, d’où le surnom des « Hamptons à la campagne ». Les villégiatures comme Hudson se transforment rapidement en destinations branchées, provoquant un mouvement de gentrification et une hausse des prix de l’immobilier qui font enrager les populations locales, dont les plus démunies se retrouvent marginalisées. Une évolution qui reflète un cycle devenu familier de ce côté de l’Atlantique, où les artistes en quête d’espaces vastes et abordables, et en soif d’expérimentation, transforment des territoires improbables en destinations à la mode. À New York, le phénomène a déjà pris d’assaut Brooklyn, le Queens et Harlem, que beaucoup d’habitants défavorisés ont dû quitter. De cette tension continue entre capitalisme, contre-cultures et communautés d’artistes naissent des remises en question profondes du « rêve américain ».